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Dix (10) outputs pour l’efficacité du système éducatif haïtien selon une approche systémique

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La systémique propose d’analyser une situation dans sa globalité, en opposition à la tradition cartésienne qui se concentre sur l’analyse des éléments séparément. Bien qu’elle soit abordée dans différents domaines. En psychothérapie, elle a généré une démarche appelée  l’école de Palo  Alto. C’est une approche qui repose sur un nouveau paradigme : la logique circulaire. Dans cette approche, une personne ayant un problème n’est que le symptôme d’un problème dans le groupe social. Il est donc question de ne pas faire du patient un bouc émissaire mais de traiter tout le système.

Et le sociologue franco-russe George Gurvitch a renchéri pour dire que l’analyse  doit être systémique puisque les phénomènes sont globaux-totaux.

Eu égard au contexte de la planification marqué par le pic de la pandémie de coronavirus et le retour du choléra, l’enlisement de la crise a des incidences négatives sur le pilotage du système éducatif haïtien dont la réouverture  des classes, fixée au  3 octobre 2002 en est l’exemple probant. Des nuages s’obscurcissent encore  au niveau de la météorologie politique du pays et le manque de consensus enregistré  pour l’organisation des prochaines joutes électorales. Et le beau  temps n’est pas  pour demain en raison des manifestations intempestives et des grèves sauvages exigeant le départ  du pouvoir en place.

De surcroit,  l’anthropologue et sociologue haïtien Rodrigue Jean écrira  plus tard et d’ailleurs c’est le titre de son dernier ouvrage « A quand la réforme de l’éducation en Haïti ». Et comme soutiennent John DEWEY et Pierre BOURDIEU, les problèmes politiques, c’est le corollaire de l’école. Je ne peux pas dire comme Emile ZOLA, écrivain français  de tendance messianique et socialiste, j’accuse. Mais l’école de type dualiste que nous connaissons en Haïti  n’est pas innocente dans cette descente aux enfers du pays en tant que construit  de la citoyenneté dans sa dimension sociale. Elle a sa part de responsabilité dans la crise des valeurs  à laquelle nous assistons tous, impuissants. En témoigne le silence de cathédrale, observé par l’Eglise, dernier rempart de la société, face à  la montée vertigineuse de l’insécurité  avec une peur bleue du kidnapping.

Il faut dire en passant que  nous n’avons pas une école républicaine,  porteuse d’une pensée, d’un projet mais plutôt des écoles en Haïti, marquées  par de criantes disparités. Ce qui motive les observateurs avisés  à parler d’écoles  à double vitesse. On retrouve, en effet,  dans le parc scolaire des écoles huppées de type confessionnel  ou laïc et des écoles  de seconde chance où  l’on véhicule  un enseignement de faible  qualité.

Actuellement, notre seule planche de salut, c’est de mobiliser davantage de  ressources vers une éducation de qualité voire pertinente dans vision d’équité. Car, l’investissement dans ce domaine comporte toujours  de  bénéfice en termes de satisfaction psychologique, de savoir vivre-ensemble et de réduction de la pauvreté ainsi que de diminution des tensions sociales. Le constat est  qu’il y a un nombre important de diplômés qui végètent dans la précarité et le chômage (plus de 60%). Et des familles dans les grandes villes vivant en deca du seuil de  pauvreté avec moins deux dollars par jour.

 Une crise de modèle scolaire

Dans la sociologie de l’éducation en Haïti, les élèves qui sont dans le classique  ne perçoivent plus l’école comme une bonne chose voire une promotion sociale. En regardant des ainés qui évoluent dans un temps symbolique où ils passent toute la journée sur le quartier à  jouer au bésigue, au domino, au poker et au football. Et les filles vivant d’expédients s’adonnent aux commérages et à la prostitution.

Ces jeunes-là  deviennent, souventes fois, des proies faciles pour les malfrats qui les enrégimentent dans des gangs armés et les contraignent aux produits stupéfiants et à l’alcool pour semer le deuil et la désolation dans les familles par des cas de kidnapping et d’assassinat, devenus monnaie courante dans le pays particulièrement  à  martissant, a Canaan et à  la Croix-des- Bouquets.

Faut-il bien se souvenir que, dans toutes sociétés, il y a  toujours des déviants et des criminels nés  qui sont hantés par la nécrologie à donner la mort. Il faut qu’il y ait des institutions fortes  comme la Police et  la Justice dans une conception de Hobbes  pour les   mettre  hors d’état de nuire aux fins de rééducation. Toutefois, le système de sécurité ne doit pas être lacunaire sous aucun prétexte. Et l’administration judiciaire ne doit  s’adonner  ni à la marchandisation ni  à l’instrumentalisation in limine litis au temple de Thémis.

En regard d’une telle radiographie, nous avons pu déceler maintes pathologies dont souffre le système d’éducation du pays selon une approche holistique comme entre autres ; les crises récurrentes, les promesses des agences d’aide, la  part du budget,  la faible efficacité  interne,  le chômage des sortants  et l’absence des cours de civisme voire d’éthique. Et pour lesquelles (pathologies) des palliatifs nécessaires sont proposés, aux fins de résilience du secteur, sous forme d’outputs :

  • 1- Il faut revisiter les programmes officiels tout en réintégrant des cours d’instructions civiques, morales et religieuses. Des cours de PME, de gestion et d’entrepreneuriat pour les finissants des classes terminales, des centres professionnels et universitaires. Ces diplômés vont avoir deux opportunités. Ou bien ils sont salariés ou bien ils sont patrons. Grâce à la méthode de l’emploi ou l’esprit d’entreprise qui va au-delà de l’approche main-d’œuvre, ils peuvent s’adapter au marché du travail ou créer leur propre micro-entreprise, génératrice d’emploi et de croissance. Quitte à ce que l’Etat favorise la micro-finance comme au Bangladesh et une politique moins drastique de protectionnisme par rapport aux produits importés.

 

  • 2- Il faut vulgariser les finalités humaines de l’éducation en Haïti en termes d’inculcation de valeurs sociales avec une bonne dose d’éthique professionnelle et d’éthique chrétienne. Ces finalités comportent les grandes valeurs des temps modernes et contemporains savoir : l’amour de la Patrie, la fierté du drapeau, le savoir-vivre ensemble, la socialisation, la conscience citoyenne, la solidarité, la responsabilité, l’imputabilité, l’altérité, le respect des deniers public et des biens d’autrui, le respect de l’environnement, le respect de la constitution et des lois de la République. Aussi  doit-on  souligner que la rentabilité de l’éducation est très faible si nous tenons compte du comportement de nos compatriotes qui ont accédé au timon des affaires de l’Etat et la représentation critique  des pouvoirs publics en Haïti par la jeunesse. De surcroit, nous avons une anthropologie teintée de méfiance et de mysticisme nous empêchant d’arriver à la stabilité politique et par ricochet au développement durable, tant préconisé par le système des Nations-Unies.

 

  • 3- il faut adopter des stratégies pour la scolarisation primaire universelle de manière gratuite et obligatoire, pour ainsi dire permettre aux exclus du système d’avoir une place assise à l’école tout en leur assurant un enseignement de qualité. Les pouvoirs publics en Haïti doivent augmenter la part du budget national allouée à l’éducation qui est actuellement 20% pour un PIB de plus de 2%, selon la loi de finances d’une part. Et d’autre part, donner une subvention aux parents d’élève vivant dans des poches de pauvreté, par une discrimination inversée, pour compenser les coûts d’opportunité dans le style de bolsa escuela ou bolsa familia du Brésil sans omettre une bonne base de statistiques scolaires pour piloter le flux des élèves comme outil de suivi et d’évaluation.

 

  • 4- Il faut améliorer la qualité de l’enseignement de base en  intensifiant la formation initiale et continue des maitres, doter les écoles en équipements pédagogiques et didactiques, en nouveaux programmes, en cantines scolaires et en soins de santé. Le Ministère de l’éducation doit réactiver le projet de réforme des curricula afin de pouvoir se fixer sur un socle commun de compétences et de connaissances par niveau d’enseignement. On doit solidifier les dispositifs de formation comme les Centres de Formation en Ecole Fondamentale (CFEF), les Ecoles Normales d’Instituteur (ENI), les Centres d’Appui Pédagogique (CAP) des EFACAP, les Facultés des Sciences de l’éducation, l’Ecole Normale Supérieure, les Centres de formation en préscolaire sans oublier les structures de formation professionnelle. Avec une bonne dose de politique nationale de formation s’inscrivant dans une démarche de bonnes pratiques que l’Institution éducative  est en train de revoir avec l’UNESCO.

 

  • 5- Il faut revisiter les programmes de l’enseignement technique et ceux de l’enseignement supérieur avec de nouveaux modules de formation par rapport aux exigences et au besoin du marché de l’emploi tout en impliquant les chefs d’entreprise en amont. En ce sens,  nos diplômés  doivent être compétitifs non seulement pour le marché national mais aussi pour le marché régional. Leur formation devra répondre aux exigences du secteur moderne de production et de service  en raison de la Trans -nationalisation et de la traçabilité des produits. L’efficacité et le standard obligent. En clair, les diplômés de la formation professionnelle, quelle  que soit la filière, sortiront avec des connaissances requises pouvant leur faciliter d’entreprendre d’autres études ou de s’insérer sur le  marché de l’emploi en regard des cours en alternance de type système dual allemand  voire des cours de PME et d’entrepreneuriat conduisant à l’auto-emploi.

 

  • 6- Il faut renforcer la gouvernance du secteur éducatif haïtien en respectant le cadre légal et les normes administratives. Les réformes éducatives se mettent sous forme d’expression juridique et que le Parlement ratifie les avant-projets de loi y relatifs pour qu’on ait de véritables lois de l’éducation. Dans un cadre de macrostructure, les directions techniques et départementales de l’Institution éducative doivent avoir un manuel de procédures et que les attributions soient bien définies et les termes de référence pour les consultants, clairs et concis. Dans un cadre de microstructure, les établissements scolaires élaborent des règlements intérieurs et appliquent les principes de l’administration scolaire dont la planification pédagogique et financière est pour l’essentiel. Pour atteindre  les objectifs consignés dans les Plans d’éducation comme extrants, cela requiert  de véritables  politiques publiques que ce soit en qualité que ce soit en accès et que ce soit en renforcement des capacités institutionnelles.

 

  • 7- Il faut mettre en application les principes de la carte scolaire à l’occasion de la mise en œuvre des politiques éducatives, en dépit du poids du secteur privé  d’éducation. La carte  est  la régionalisation des réformes  dans un cadre de micro-planification ou local. Prônant l’école de proximité par rapport à l’aire de recrutement des élèves et des enseignants, les principes de la  carte nous permettent d’optimiser les ressources allouées au secteur. La carte dont le point d’orgue est l’enquête annuelle va alimenter la base de données d’un système d’information pour la gestion de l’éducation ou Education  Management Information System (EMIS). Et que les décideurs  du pays peuvent s‘informer en temps réel sur l’évolution  de  l’offre et la demande d’éducation. Puisque pour piloter un secteur, on doit avoir des données fiables, valides et opportunes, ne serait-ce pour de meilleures allocations de ressource au niveau de la micro-planification ou local  a l’occasion de la rentrée des classes, vaste chantier  de la carte scolaire. Avec ces indicateurs générés par l’enquête scolaire, on peut arriver à réduire les  disparités entre milieux urbains et ruraux par une réallocation  de ressource.

 

  • 8- Il faut prendre des mesures allant dans le sens de  la revalorisation de la condition enseignante, cela doit passer par un corpus juridique en identifiant les vrais enseignants. Pour l’être, l’agent éducatif doit avoir une carte d’enseigner et que le Ministère de l’éducation  parle désormais  de « Permis d’Enseigner (PE) ». Par ailleurs, il faut penser à des avantages sociaux et  une révision de la grille salariale. Et que le recrutement se fait toutefois, par voie de concours selon les injonctions de l’Office de Management en Ressources Humaines (OMRH) à l’Administration publique en s’appuyant sur le  Décret du  17  juillet 2005 pris sous le Gouvernement  ALEXANDRE-LATORTUE. Et qu’un plan de carrière soit mis en place.

 

  • 9- Il faut tabler sur l’éducation non formelle en termes d’équité sociale. Dans sa politique volontariste, l’Etat doit donner un traitement particulier à l’éducation des personnes à besoins spéciaux à savoir les handicapés et les enfants surdoués. Et de plus, atteindre les gens des zones reculées du pays grâce à la formation à distance par le biais de la radio et de la télévision et même pour les étudiants, la stratégie de l’université virtuelle  est à envisager, grâce à l’internet, élément de la modernité ayant changé les modes d’acquisition de connaissances. Sans oublier l’alphabétisation des adultes, avec une volonté politique, on peut mobiliser toute la gent estudiantine au cours des vacances pour se lancer dans une véritable campagne aux fins  d’éradication  les 38% restants d’analphabètes à partir d’un échéancier réaliste, évidemment, avec peu de ressources en raison des actions citoyennes sans nier certes, des incitatifs. Il faut mettre en place des activités post-alpha et une structure d’éducation des adultes aux fins d’orientation des néo-alphabétisés et des jeunes des Cours du soir vers l’apprentissage des métiers et pourquoi pas vers le Fondamental et/ou le Secondaire si besoin se fait sentir. En ce sens, l’un des Objectifs de Développement Durable (ODD4) des nations-Unies sera atteint en Haïti bien avant l’horizon temporel 2030.

 

  • 10- Il faut faire un choix judicieux par rapport aux diverses théories de l’apprentissage savoir : l’approche constructiviste, l’approche behavioriste et celle du socioconstructivisme ou la pédagogie du forgeron.  La méthode pédagogique qui est vendable aujourd’hui n’est autre que l’approche par compétences (APC)  ou la pédagogie du forgeron. Elle peut révolutionner l’enseignement-apprentissage en Haïti pour pouvoir arriver à une école utilitaire. Cette méthode  est en vogue dans le secteur, en raison de l’implémentation et de la généralisation de la rénovation du secondaire avec sa filière d’enseignement général. Faut-il bien  se souvenir  que l’APC ou le socioconstructivisme développé par Lev Vygotsky décrit que le comportement mesurable se traduit par une sorte de compétences ou de capacités que l’apprenant possède pour résoudre  un problème-complexe dans une situation donnée. Alors que le béhaviorisme ou comportementalisme n’est autre que la Pédagogie Par Objectifs (PPO) développé par John B. Watson pour définir les objectifs pédagogiques en termes de comportement observable et mesurable  de l’apprenant de façon à se donner les moyens d’évaluer l’efficacité de l’action et d’améliorer celle-ci. Sans omettre  l’approche constructiviste de Jean Piaget qui s’apparente beaucoup plus  à la pédagogie Montessori qu’on peut expérimenter au niveau de la petite enfance.

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Crédit photo: Omniscient Info


Extrait de l’ouvrage intitulé:

Covid-19 et les outils de planification du secteur éducatif en Haïti.

Author

  • Yves Roblin

    Professeur d’universités | Spécialiste en planification de l’éducation | Ex-boursier de l’État Haitien à l’UNESCO-Paris | Auteur du livre : Les grands axes en matière d’éducation en Haïti | Mail: roblinyves@yahoo.fr

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