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Émile ou le modèle d’Éducation de l’être humain

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Par Fritznel VALÉRY, Professeur de Philosophie.

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L’éducation reste et demeure le pilier fondamental du développement de toute société. Ainsi, l’être humain, pour être le responsable de ce développement doit être pris en considération. Et cela, par une bonne éducation.

“Tout bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme”: ces mots ouvrent magistralement l’ouvrage qui occupe une place centrale dans l’oeuvre de Rousseau: Émile ou De l’Éducation.

Au XVlll e.siècle, on ne reconnaît guère de droits à l’enfance , les parents de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie se déchargent de leurs responsabilités en confiant leurs enfants à une nourrice pour ensuite les enfermer dans des collèges ou des couvents , ou encore les laisser sous la domination de précepteurs ou de gouvernantes avides de discipline. À l’encontre de ces pratiques, Jean-Jacques Rousseau publie un “traité d’éducation” révolutionnaire où il défend le droit à une véritable enfance , le droit à la liberté, la prise en charge directe de l’éducation par les parents , l’éducation orientée vers  la seule humanité plutôt que vers le rang et l’ordre, etc.

Qui plus est, l’ouvrage n’est pas qu’un simple traité de recettes pédagogiques. Au-delà des visées éducatives, Rousseau y présente une conception philosophique de l’homme. Dans le livre premier de l’Émile , il apporte la précision suivante : “Notre véritable étude est celle de la condition humaine.[…] Il faut donc généraliser nos vues, et considérer dans notre élève l’homme abstrait, l’homme exposé à tous les accidents de la vie humaine” ( Émile, t.IV, livre l, p.252).

À la faveur d’un traité pédagogique, Rousseau trace le portrait de l’homme idéal, c’est-à-dire de celui qui aurait réussi à conserver les éléments de l’état de nature grâce à une saine éducation, où il aurait appris à résister par lui-même aux vices que la société inculque.  Émile s’inscrit dans une espèce de trilogie. Les deux premiers discours critiquent avec vigueur  l’oeuvre de la civilisation, qui dénature l’homme et le prive de la liberté et de l’égalité. Le Contrat Social présente le “devoir être ” sur le plan social et propose la seule forme politique capable d’offrir aux citoyens la liberté et l’égalité civiles. Émile ou De l’Éducation décrit les règles essentielles d’une pédagogie développant chez l’enfant, l’adolescent et le jeune adulte les qualités de l’homme naturel., Ce sont ces qualités qui pourront faire de lui un authentique citoyen , libre et préoccupé par le bien commun.

Le modèle éducatif rousseauiste 

Donnons un aperçu de ce modèle éducatif.

Règle première : Le respect de la liberté naturelle de l’enfant .

D’abord, il s’agit d’asseoir sur le principe de la liberté toutes les conditions requises en vue d’une heureuse éducation de l’individu orienté vers la vie. Ainsi, le maître ou précepteur se servira de la nature seule comme inspiratrice et théâtre de l’apprentissage de l’enfant, et s’abstiendra de lui imposer, de l’extérieur , des préceptes artificiels et inutiles. Face à l’ordre naturel, l’enfant peut comprendre ses limites tout en restant libre : il apprend à accepter ce contre quoi il ne peut rien. Comme l’écrit Rousseau, la “dépendance des choses n’ayant aucune moralité nuit à la liberté et n’engendre point de vices” ( Ibid., lV, livre ll, p.311).

Deuxième règle: le respect de l’évolution naturelle de l’enfant.

La deuxième règle éducative demande de considérer l’enfant comme un enfant et non comme un adulte.

Laissez mûrir l’enfance dans l’enfant” s’écrie Rousseau. Cela implique que l’on respecte l’évolution naturelle de l’individu, c’est-à-dire, pour utiliser un langage contemporain, les étapes ou stades du développement de l’enfant. Afin de suivre cette progression naturelle, le précepteur utilisera ce que la nature elle-même éveille tour à tour chez l’être humain. En d’autres mots, il adaptera son enseignement aux facultés de chaque âge.

De zéro à Deux ans, seules les capacités corporelles devraient exclusivement être exercées jusqu’à l’âge de deux ans: l’enfant apprendra d’abord à fortifier son corps par l’exercice physique.

De trois à douze ans  , L’accent sera mis sur le développement des sens, “les premières facultés qui se forment et se perfectionnent en nous”, facultés qu’il convient de cultiver avant l’intelligence abstraite. Les sensations que procurent la vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher sont évalués pour Rousseau comme permettant une perception juste de la réalité et de soi-même. D’autant plus que c’est en comparant ses diverses sensations que l’enfant développe son esprit _ ce qui donnera naissance ultérieurement à l’idée. Contrairement à Descartes, Rousseau considère que les idées ne sont pas innées.

NB: la théorie rousseauiste de la connaissance s’oppose radicalement au rationalisme classique, dont celui de Descartes, et épouse la philosophie sensualiste de Condillac.

Rousseau parle ainsi: ” Notre élève n’avait d’abord que des sensations , maintenant il a des idées : il ne faisait que sentir , maintenant il juge. Car de la comparaison de plusieurs sensations successives ou simultanées, et du jugement qu’on en porte, naît une sorte de sensation mixte ou complexe que j’appelle idée” ( Émile.t.lV, livre lll, p.481).

La première éducation qui va de la naissance à douze ans, doit être “négative” ,en ce sens que le précepteur ne donne rien à apprendre mais se contente de placer Émile dans des conditions (généralement celles de la nature) où l’enfant découvrira par lui-même et , au besoin , d’empêcher que le préjugé (erreur de l’esprit) ou le vice ( erreur du cœur ) , toujours issus de l’extérieur, ne vienne entraver cet apprentissage.

À treize ans Rousseau croit qu’il ne faut pas précipiter l’apprentissage de la raison. Il ne faut pas prématurément, alors que l’enfant n’est pas prêt, exiger de lui qu’il se mesure ” aux objets intellectuels”.Rousseau suggère donc d’attendre la treizième année de l’enfant avant de considérer le développement de son esprit et de travailler à l’éveil de sa curiosité intellectuelle.

À dix-sept ans, ce n’est qu’à partir de la dix-septième année qu’on valorisera le raisonnement par le travail intellectuel proprement dit, car, “de toutes les instructions propres à l’homme, celle qu’il acquiert  plus tard et le plus difficilement est la raison même ” . (Julie ou la Nouvelle Héloïse, troisième partie, lettre 3, p. 362).

À vingt ans seulement, l’examen de ce qui est bien et de ce qui est mal ( le sens moral) sera fait avant qu’on favorise une conduite particulière . Ayant été éduquée d’une bonne manière, la conscience morale d’Émile, qui correspond au sentiment intuitif et immédiat de ce qui est bien, saura être pour lui un guide sûr.

Tout ce processus d’apprentissage sera organisé de l’intérêt spontané ressenti par l’élève.

Règle troisième : La prédominance de la conscience sur la science.

La troisième règle de l’éducation rousseauiste consiste à développer la conscience plutôt que d’accumuler de la science., il faut laisser l’enfant découvrir par lui-même ce qu’il doit savoir au lieu de lui imposer des connaissances et des vertus qu’il n’est pas capable de comprendre. Ce n’est pas le savoir en tant que tel qui importe ni la culture en soi, mais l’honnêteté et la sincérité du cœur.  “L’homme naturel, s’exclame Rousseau, est honnête, non savant !” Le précepteur verra donc en priorité à en empêcher que l’enfant ne tombe sous l’empire des préjugés et des mœurs factices qui viendraient fausser son apprentissage.

Règle quatrième : apprendre à apprendre.

La quatrième règle éducative repose sur l’hypothèse qu’il vaut mieux apprendre à apprendre, car il importe d’avoir “une tête bien faite plutôt que bien pleine”. Au savoir en tant que somme des connaissances acquises, Rousseau préfère la perspicacité, la profondeur et l’ouverture d’esprit.

Une considération philosophique de l’homme

Chapeautant les quatre règles rousseauistes de l’éducation de l’être humain que  nous venons de présenter se trouve une considération philosophique plus vaste qui les englobe toutes et qui constitue l’objectif ultime de tout processus d’éducation. Cette considération philosophique pourrait se résumer à la maxime suivante : apprendre à être un homme et apprendre à vivre heureux, tel est le métier de l’être humain.

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Fritznel VALÉRY, Juriste .

Professeur de  philosophie et de Sciences Sociales

Tels: +509 4696 5469 / 3360 8084

Email: fritznelvalery7@gmail.com

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