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Le financement de l’éducation en Haïti

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  • Généralités

Pour faire mienne la pensée de l’expert haitiano-canadien Jean MOISSET « l’éducation coute cher mais l’ignorance, coute plus cher ». Pour Jacques DELORS, l’éducation est considérée comme la clef de la prospérité de demain, l’instrument privilégié de la lutte contre le chômage, le moteur du progrès scientifique et technologique, le fer de lance du progrès social et de l’Égalité et la garantie du maintien des valeurs démocratiques ou le passeport  pour la réussite individuelle.

  • Par ailleurs, l’éducation de par sa triple fonction : culturelle, sociale et économique, tient une place prépondérante dans les sociétés humaines. Elle devient une source de confrontations antagoniques sur certaines questions sensibles comme les finalités à assigner au système éducatif ou encore le financement de celui-ci.
  • De Jomtien (1990) à Incheon (2015) en passant par Dakar (2000), les feuilles de route nous rassurent que ce n’est pas un problème de ressources à proprement parler  qui va empêcher à un pays de faire des progrès en matière de scolarisation universelle et de formation des maitres mais plutôt une question de bonnes pratiques. Selon l’Initiative Fast Track soutenu par des organisations supranationales comme l’UNESCO et la Banque Mondiale (BM), il faut assainir les finances publiques et travailler à la stabilité politique comme conditionnalités pour avoir accès aux fonds alloués aux pays en développement.
  • En Haïti, en raison de sa cherté, l’éducation de qualité devient l’apanage d’une minorité, Et on sait déjà que plus de 80% du système éducatif haïtien  est dominé  par les opérateurs  privés sur le marché  éducatif.
  • Dans une étude de la Banque Mondiale, on a décelé quatre éléments de constat  sur l’éducation en Haïti savoir : – presque tous les établissements sont gérés  par le privé (90%) – les frais de scolarité constituent un frein pour de nombreux parents d’élève – les taux nets de scolarisation sont passés de 78% à 90% – l’exemption des frais scolaires peut aider les enfants à être dans une classe appropriée à  leur âge.
  • Rappelons que le budget de l’éducation, c’est une prévision qui comporte deux postes : 1- le fonctionnement  (salaire du personnel enseignants et administratif, fourniture de bureau, matériels pédagogiques, cantine-cafeteria, entretien) et l’investissement (construction et équipement  des infrastructures). Plus de 85% des ressources budgétaires sont consacrées au fonctionnement, en d’autres termes, au paiement des enseignants et du personnel administratif.
  • Les Partenaires Techniques et financiers (PTF) sont très présents sur le terrain pour accompagner le Ministère de l’Education dans l’élaboration et la mise en œuvre des reformes éducatives ou des plans d’éducation. Ces plans d’éducation ayant de grands programmes-projets tels que l’accès des enfants à l’école, la qualité de l’enseignement, l’amélioration de l’adéquation formation-emploi pour répondre aux attentes des chefs d’entreprise ainsi que le renforcement des capacités institutionnelles avec une bonne dose de statistiques  pour le pilotage du système éducatif haïtien.

– Les PTF ou Groupe Secteur Education (GSE) regroupant : la Banque Mondiale (BM), le Partenariat Mondial en Education (PME), la BID, l’UNESCO, l’UNICEF et Union Européenne (UE) appuient nombre de directions techniques dans des projets porteurs comme la collecte de données et le système d’information et j’en passe. C’est toute la cartographie d’aide qui s’implique dans le cadre de la mise en œuvre des plans d’éducation.

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Le Trésor Public est renfloué par les recettes en provenance des secteurs du primaire (élevage, agriculture, pêche), du secondaire (produit de transformation, industrie) du tertiaire (services, banque, dry cleaning, supermarché) et du quaternaire (automatisme, aéronautique, téléphonie) duquel (secteur) l’Etat prélève un quantum de taxes. Ces ressources devaient se canaliser vers les services sociaux de base comme l’éducation et la santé.

La part du PIB allouée à l’éducation s’évalue  à  quelques  2% ou la part du budget  national,  20%. Le PIB : Produit Intérieur Brut : toutes les recettes en provenance des secteurs au niveau national. Le PNB : Produit National Brut, c’est PNB= PIB + prêts + dons+ transfert de la diaspora.

” 103 millions de gourdes alloués par l’Etat en appui à la scolarisation des enfants en milieu défavorisé dans les écoles non publiques. “

Qui finance l’éducation en Haïti ?

 A l’échelle nationale

  • Les pouvoirs publics à travers le trésor public
  • Les parents d’élève, aidés  de la diaspora qui déverse  dans l’économie  nationale plus de trois (3) milliards de dollars, somme faramineuse  qui est destinée  à  l’éducation et à  la consommation.
  • Les relations bi et multilatérale : Haïti-USA, Haïti-France, Haïti-Canada, Haïti-Taiwan ; Haïti-OEA, Haïti-ONU.
  • Les Agences d’aide comme l’UNESCO, la BID, l’UNICEF, la Banque Mondiale (BM).
  • Les ONG à travers les congrégations catholiques et missions protestantes.
  • Quelques compagnies de téléphonies à travers la construction d’écoles comme la DIGICEL et des connexions d’internet dans les établissements publics comme la NATCOM.
  • Le Fonds National de l’Education (FNE) issu de la loi de juillet 2017 est un outil de l’Etat pour accompagner les partenaires œuvrant dans le secteur a l’atteinte de l’objectif de la scolarisation dans le cadre de subvention. Cette semaine, le Ministre de l’éducation P.J.A CADET a procédé à la remise des chèques d’un montant de quelques 103 millions de gourdes aux écoles confessionnelles et communales laïques au profit des enfants dont les parents vivent dans des poches de pauvreté.
  • Et des banques comme la SOGEBANK à travers un programme de bourse mis en place pour la clientèle avant le séisme en termes de subvention à l’occasion de la rentrée scolaire : 200 bourses d’étude  d’une valeur d’un million de gourdes.
  • Il faut dire que selon une étude rapportée par le professeur Serge PETIT-FRERE de la Fac des Sciences Humaines, ex-ministre de l’éducation, de regrettée mémoire, les parents investissent plus de 61% dans le financement de l’éducation, les ONG 32 % et l’Etat quelques 7%.
  • Eu égard aux investissements, les familles ont perçu encore  l’école comme une bonne chose voire une promotion sociale en dépit de la crise  de modèle  scolaire pour se référer au  taux de chômage s’estimant a  plus de 60%. Il y a une demande sociale de l’éducation, les familles veulent non seulement une place assise pour leur progéniture mais aussi un enseignement de qualité. Pour qu’au terme de leurs études, ils puissent s’insérer sur  le marché du travail. C’est en ce sens, les parents d’élève en Haïti,  mesurent l’efficacité du système éducatif  à l’aune des résultats aux examens officiels voire au taux d’insertion des diplômés.
  • Faut-il bien se souvenir que  face à la revalorisation du cout de la vie, les pouvoirs publics ont quelques  cinq (5) priorités en regard de l’analyse cout-bénéfice pour ainsi dire: l’alimentation, le logement, l’éducation, la santé  et le transport en commun pour parler de l’amélioration de la qualité  de vie de la population à  travers de grandes politiques publiques.

                     A l’échelle internationale

  • Les grands financeurs : USA-Japon, France, Nouvelle Zélande.
  • La distribution de l’aide bilatérale se présente comme suit : Afrique subsaharienne (30%), Asie de l’est et Pacifique (22%), Etats arabes (18%), l’Asie du sud et de l’ouest, l’Europe centrale et orientale y compris l’Amérique latine et la Caraïbe se partagent les 25% restants.
  • L’Aide Publique au Développement (APD) avec quelques signes de reprise, depuis les Objectifs du Millénaire (OMD), 50 milliards sont prévus pour être en appui aux pays à économie peu développée comme Haïti. Entretemps, nombre d’évènements ont surgi dans le monde comme le problème du Moyen-Orient et la pandémie de coronavirus. Se demande-t-on, s’il n’y aura pas une reconversion de l’APD.
  • Récemment, les donateurs ont promis 2.3 milliards de dollars à travers le Partenariat Mondial pour la gouvernance et l’accès à l’école dans les pays en développement comme le nôtre.

 

  • Les couts en économie et en éducation

La notion de cout s’applique à la production d’un bien ou d’un service et est définie comme l’ensemble des dépenses nécessaires à l’obtention d’un volume de production donné.

D’abord en économie, le concept de cout est lie à l’analyse du processus de production d’un bien ou d’un service par une entreprise. Par exemple, la production de véhicules par une entreprise de construction automobile nécessite l’utilisation de matières premières, d’énergie, du travail d’ouvriers et de cadres, de machines-outils, de frais de recherche et développement pour la conception du produit etc. A ce cout de production, s’ajoute celui du transport, de la distribution, de la publicité et autres.

Ensuite, en éducation, l’activité d’enseignement peut être  analysée comme un service ou comme la production d’un bien immatériel pour ainsi dire l’acquisition de savoir ou de savoir-faire. La production du service d’enseignement nécessite la mobilisation de bâtiments, de mobilier, du temps de travail, de personnes, de consommation de livres ou de papier et s’apparente ainsi à  la production d’un bien matériel. Les ressources physiques et humaines mobilisées pour les activités d’éducation ont une traduction en termes financiers. Les unités de production que sont les établissements scolaires reçoivent les ressources en provenance des unités de financement, Etat, ménages, agences d’aide et font des dépenses pour produire le service d’enseignement. Module IIPE-UNESCO, Couts et financement.

Enfin, l’éducation est un grand marché qui produit des effets d’entrainement. Il est nombre de sous-secteurs qui vivent de l’école.  Le marché, c’est la rencontre de l’offre et de la demande sous plusieurs angles d’analyse.

Avec la rentrée scolaire, nous avons quelques 4 millions d’élèves à ramener à l’école, quelques 122 mille enseignants et 20.900 écoles à faire fonctionner pour une population d’environ 12 millions d’habitants selon l’IHSI. C’est une grosse machine.

C’est aussi un marché juteux. Des centaines de PME fonctionnent grâce aux activités scolaires. Les petits marchands, les boulangers, les magasins de fournitures classiques. Et d’autres secteurs de l’économie qui produisent des biens et services pour le marché éducatif. La paralysie de l’école   a   l’occasion de pays-lock et du coronavirus a eu des incidences négatives sur les activités liées à cette filière.

En guise de conclusion

Que l’Etat continue à mobiliser de ressources en faveur de l’éducation tout en augmentant la part du PIB allouée à   l’éducation. Et que les promesses des agences d’aide soient honorées et les conditionnalités amoindries.Et que nos plans d’éducation soient réalistes avec des mesures compensatoires comme l’application de la politique malthusienne en diminuant les naissances. Puisqu’il est question de scolarisation universelle des enfants en âge d’admission et d’amélioration de la qualité de l’enseignement comme outputs.

De surcroit, nous devons, dans une approche holistique, atténuer nos différends et construire un pacte de gouvernabilité dans le pays comme aimait à répéter une frange de la classe politique.

Comment voulez-vous optimiser les faibles ressources consacrées à l’éducation, si nous vivons dans une situation de crise  permanente, ponctuée  de manifestations intempestives  et de  grèves  sauvages ? Encore peut-on planifier un produit, quelle que soit la filière, dans une situation de chaos ?

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Spécialiste en planification de l’éducation et boursier de l’État à l’UNESCO de Paris.

Auteur : « Les grands axes en matière d’éducation en Haïti ».

Crédit photo: (c) CottonBro

Author

  • Yves Roblin

    Professeur d’universités | Spécialiste en planification de l’éducation | Ex-boursier de l’État Haitien à l’UNESCO-Paris | Auteur du livre : Les grands axes en matière d’éducation en Haïti | Mail: roblinyves@yahoo.fr

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