Accueil ACTUALITÉS Réalisme » politique haïtien. Imagination et politique de l’é-mancipation. Programmatique d’une poétique de la politique[i]

Réalisme » politique haïtien. Imagination et politique de l’é-mancipation. Programmatique d’une poétique de la politique[i]

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Par: Professeur Edelyn DORISMOND (1)


Si la vie chère produit toutes les mauvaises passions sociales et politiques, elle est loin de conduire à la lutte pour son éradication. Selon la conjoncture, elle n’est pas encore une lutte, mais un simple prétexte à des luttes politiciennes destinées à prendre le pouvoir d’assaut. Les émeutes d’avril 2008, au titre de révolte contre la faim engendrée par la cherté de la vie (que la malice populaire a appelé grangou klowòks), sont là pour nous le rappeler. Plus d’une décennie plus tard, l’enchérissement du coût de la vie continue vertigineusement, sans pouvoir alimenter convenablement de lutte véritable. Il faut un long chemin entre le mal-être qu’elle suscite et les mises en œuvre des projets de correction. C’est étonnant de constater combien les lutteurs actuels, ceux-là mêmes qui prétendent la mener en l’entravant dans des impasses faute d’un idéal théoriquement élaboré et soutenu par des moments stratégiques pertinents et fructueux  -particulièrement ceux de 2018 à aujourd’hui-, n’ont pas le sens commun du politique ou de l’intelligence du  politique. Une telle intelligence passe par la théorie ou de la contemplation de la chose politique ou chose commune. Alors que, pour être plus explicite, l’humanité commence avec la contemplation, dans la société haïtienne contemporaine expressément le souci de contempler dans les «luttes» prend l’aspect d’un luxe artiste. Tout souci de théorisation est présenté comme une posture de «petit-bourgeois ».

La contemplation, sorte de regard gratuit posé sur l’infinité du monde ou des possibles parmi lesquels quelque chose, apparemment venu de nulle part, éclot à la réalité sensible pour dire les nouvelles perspectives de l’existence et de la  vie politique. À la grande surprise, dans la politique haïtienne, on n’imagine peu ou prou, on ne contemple pas ; on « agit » parce qu’on est « pratique ». Faire usage de la faculté de l’imagination dans les actions politiques est ravalé au rang de passe-temps de « petit-bourgeois ». On se lance dans la bataille, on investit le « béton » au gré du son de tambour et des émotions fanatiques ou partisanes. Et c’est la « lutte », l’affrontement ! Une lutte qui se déploie dans le style inchangé -pneus enflammés, barricades érigées tout azimut, saccages et pillages des petites ou moyennes entreprises-, malgré l’échec répété de cette stratégie stéréotypée et visiblement inadaptée. Une lutte qui n’a qu’un but : départ du chef en place. Un départ qui finit par se manifester sous couvert de « crise de la faim » ; une faim bien réelle et insupportable pour la majorité de la population in-nommément démunie. Une lutte pourtant théoriquement aveugle. Il faut « voir » (chez Platon la « vue » ou la « vision » est la faculté de connaître supérieur) pour marcher dans le monde. Il faut « voir » pour faire monde. Étant en perte de « vue », on s’engouffre dans les ténèbres de la «grande nuit ». S’orienter sans lumière, c’est un pari paradoxal où l’on s’emmêle dans ses propres pas. Dommage, le pauvre « peuple » haïtien ne fait que subir les sempiternels errements des «acteurs» borgnes et myopes, qui ne voient pas, mais sans courage de s’avouer aveugles, malgré l’œil ouvert sur l’évidence de l’erreur. Avec le temps, le «peuple» subit les actions de ces derniers plus qu’il ne les suit.

Comment comprendre ce que nous vivons aujourd’hui en Haïti comme effondrement de tout politique entendu comme mode vivre-ensemble ou d’ « être-ensemble » ? Une question risquée. Une question sur l’actualité qui peut perdre son sens, une fois, formulée. Mais une question qui prend le risque de penser l’actualité en reconnaissant à la pensée un degré de puissance propre à contribuer à nous sortir des impasses politique, économique, sociale et culturelle que nous connaissons, que nous enchaînons à chaque fois que la « lutte » a été relancée. En attendant de prendre en charge cette question des impasses socio-politiques sur lesquelles buttent les lutteurs actuels, répondons-nous à la question plus actuelle et urgente (le pays se mourant de ce militantisme sans imagination) : quel est le sens de ces agitations socio-politiques des trois semaines écoulées, lesquelles agitations ont été interrompues par les décisions sans concession de l’onusiano-américanisme? Comment nommer ces actes de pillage, de contestation, de mélange baroque du «militantisme» et du «banditisme», du « peuple affamé » et du silence jouissif de la « bourgeoisie » ? Que ces actes nous donnent-ils politiquement d’espérer ?

Nous retiendrons trois idées centrales dans cet essai. D’abord, nous retiendrons que les « mouvements sociaux » haïtiens sont souvent mis en marche dans la société haïtienne sous fond d’un imaginaire politique que nous conceptualisons dans le sens de la politique de la survie ou politique de la mourance. Cette politique consiste à laisser mourir à feu doux et à produire un ensemble de pratiques qui n’ont pour conséquences finales la mise à mort des plus fragilisés. L’exemple principal concerne la gangstérisation qui s’intensifie et se densifie suite à situation de lok (blocage)[ii]. En réalité, on est moins préoccupé par le mécanisme qui donne la mort qu’à celui de maintenir la vie dans une économie minimaliste, que nous appelons survie ou mourance. Ne pas laisser mourir, mais laisser vivre à peu de frais. Les mouvements se déploient sur ce fond, qui produit des stratégies de protestation qui prennent la forme d’une rhétorique de fuite, du sauve-qui-peut, face au dispositif de la survie. Ce qui explique l’urgence, l’impatience, qui constitue la forme temporelle expresse de ces mouvements. Leur difficile patience ou passion à mettre en place des stratégies réfléchies (qui exigent un certain recul à soi, une certaine capacité à  se soutenir), d’où la grande déficience, à la fois théorique et pratique, qui les caractérise. Faible en concept théorique qui aurait mobilisé l’imagination créatrice, prise dans l’urgence de la vie fragilisée, cette politique prend la forme d’un tragique de la répétition. En fin de compte, nous proposons, au tournant de ce parcours critique, d’inviter les « militants » à faire preuve d’imagination, entendue comme faculté d’invention de mondes possibles quand on est butté sur les impasses du « réel ». La première preuve d’imagination, selon la perspective que nous avons déjà ouverte au cours de maintes réflexions, consiste à penser aux modalités de sortie de la colonialité, qui reste la toile de fond de tous les mouvements sociaux haïtiens et de la politique de la survie.

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Crédit photo: Blog Edelyn Dorismond

1ère publication de l’article: Blog Personnel d’Edelyn Dorismond

Mise en page : Omniscient Info


Dr. Edelyn DORISMOND

  • Professeur de Philosophie au Campus Henry Christophe de Limonade-CHCL-UEH,
  • Directeur de Programme au Collège International de Philosophie-Paris,
  • Directeur du Comité Scientifique du Centre d’Appui à l’Éducation à la Citoyenneté (CAEC),
  • Directeur de l’Institut des Politiques Publiques (IPP),
  • Membre du laboratoire Ladirep.

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