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Investir dans l’éducation pour la réduction de la pauvreté et pour la paix sociale ou dix (10) propositions.

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Eu égard au contexte de la planification de l’éducation marqué par de l’incertitude croissante, la crise inter-haïtienne a des incidences négatives sur le pilotage du système éducatif haïtien. Des nuages s’amoncellent au niveau de la météorologie politique du pays, ces derniers temps, et sans nier le spectre de la nouvelle vague de coronavirus. Et le beau temps n’est pas prévu pour demain.

Comme soutiennent John DEWEY et Pierre BOURDIEU, les problèmes politiques, c’est le corollaire de l’école. Je ne peux pas dire comme Emile ZOLA, écrivain de tendance socialiste et messianique, j’accuse. Mais l’école n’est pas innocente en tant que construction de la citoyenneté dans sa dimension sociale.

L’école a sa part de responsabilité dans la déliquescence sociétale en raison d’une anthropologie teintée de méfiance et de haine et à laquelle nous assistons tous, impuissants. En témoigne le silence de cimetière, observé par l’Eglise, dernier rempart de la société, face au chaos régnant dans la cité. C’est comme si les forces morales du pays ont perdu leur pouvoir de convocation face aux manifestations intempestives et aux grèves sauvages, engendrant souventes fois des pertes en vies humaines. Et ajouter à cela des cas d’assassinat et de kidnapping ayant endeuillé et ruiné la famille haïtienne, corollaire d’un système de sécurité lacunaire.

Il faut bien qu’on le comprenne que nous n’avons pas une école haïtienne à proprement parler mais plutôt des écoles en Haïti pour ainsi dire des écoles de type confessionnel et laïc. Ce qui motive les observateurs avisés à parler d’écoles à double vitesse.

On retrouve, en effet, dans le parc scolaire des écoles huppées et des écoles de seconde chance que l’on appelle par ironie « école borlette » où l’on véhicule un enseignement de faible qualité sans omettre des écoles de type moyen pour se référer aux écoles publiques et certaines écoles privées dont le point d’orgue, c’est l’absentéisme des enseignants avec un leadership débonnaire des chefs d’établissement.

Tenant compte d’une telle radiographie, nous avons pu déceler maintes pathologies dont souffre le système d’éducation du pays dans une approche holistique comme entre autres l’absence des cours de civisme, la faible efficacité interne et l’inadéquation formation-emploi et pour lesquelles (pathologies) des remèdes efficaces sont proposés, aux fins de résilience, sous forme de Dix (10) points que je qualifie d’importants:

  • Il faut revisiter les programmes officiels tout en réintégrant des cours d’Instructions civiques, morales et religieuses. Des cours de PME, de gestion et d’entrepreneuriat pour les finissants des classes terminales, des centres professionnels et universitaires. Ces diplômés vont avoir deux opportunités. Ou bien ils sont salariés ou bien ils sont patrons. Grâce à la méthode de l’emploi ou l’esprit d’entreprise qui va au-delà de l’approche main-d’œuvre, ils peuvent s’adapter au marché du travail ou créer leur propre microentreprise, génératrice d’emploi et de croissance. Quitte à ce que l’Etat favorise la microfinance comme au Bangladesh et une politique moins drastique de protectionnisme par rapport aux produits importés.
  • Il faut vulgariser les finalités humaines de l’éducation en Haïti en termes d’inculcation de valeurs sociales avec une bonne dose d’éthique professionnelle et d’éthique chrétienne. Comme font nombre d’écoles congréganistes et d’écoles de mission protestante. Ces finalités comportent les grandes valeurs des temps modernes savoir : l’amour de la Patrie, la fierté du drapeau, le savoir-vivre ensemble, la socialisation, la conscience citoyenne, la solidarité, la responsabilité, l’imputabilité, l’altérité, le respect des deniers publics et des biens d’autrui, le respect de l’environnement et le respect de la constitution et des lois de la République.
  • Il faut adopter des stratégies pour la scolarisation universelle de tous les enfants en âge scolaire, pour ainsi dire permettre aux exclus du système d’avoir une place assise à l’école tout en leur assurant un enseignement de qualité. Les pouvoirs publics en Haïti doivent augmenter la part du budget national allouée à l’éducation qui est actuellement 20% pour un PIB de plus de 2%, selon la loi de finances d’une part. Et d’autre part, donner une subvention aux parents d’élève vivant dans des poches de pauvreté, par une discrimination inversée, pour compenser les coûts d’opportunité dans le style de bolsa escuela ou bolsa familia du Brésil sans omettre une bonne base de statistiques scolaires pour piloter le flux des élèves comme outil de suivi et d’évaluation.
  • Il faut améliorer la qualité de l’enseignement en intensifiant la formation initiale et continue des maitres, doter les écoles en équipements pédagogiques et didactiques, en nouveaux programmes, en cantines scolaires et en soins de santé. Le Ministère de l’éducation doit réactiver le projet de réforme des curricula afin de pouvoir se fixer sur un socle commun de compétences et de connaissances par niveau d’enseignement. On doit solidifier les dispositifs de formation comme les Centres de Formation en Ecole Fondamentale (CFEF), les Ecoles Normales d’Instituteur (ENI), les Centres d’Appui Pédagogique (CAP) des EFACAP, les Facultés des Sciences de l’éducation, l’Ecole Normale Supérieure, les Centres de formation en préscolaire sans oublier les structures de formation professionnelle. Avec une bonne dose de politique nationale de formation s’inscrivant dans une démarche de bonnes pratiques que l’Institution éducative est en train de revoir avec l’UNESCO.
  • Il faut revisiter les programmes de l’enseignement technique et ceux de l’enseignement supérieur avec de nouveaux modules de formation par rapport aux exigences et au besoin du marché de l’emploi tout en impliquant les chefs d’entreprise en amont. En ce sens, nos diplômés doivent être compétitifs non seulement pour le marché national mais aussi pour le marché régional. Leur formation devra répondre aux exigences du secteur moderne de production et de service en raison de la Trans nationalisation et de la traçabilité des produits. L’efficacité et le standard obligent. En clair, les sortants du système, quel que soit le niveau d’enseignement, acquerront des connaissances requises pouvant leur faciliter d’entreprendre d’autres études ou de s’insérer sur le marché de l’emploi en regard des cours en alternance de type système dual allemand voire des cours de PME et d’entrepreneuriat conduisant à l’auto-emploi.
  • Il faut renforcer la gouvernance du secteur éducatif haïtien en respectant le cadre légal et les normes administratives. Les réformes éducatives se mettent sous forme d’expression juridique et que le Parlement ratifie les avant-projets de loi y relatifs pour qu’on ait de véritables lois de l’éducation. Dans un cadre de macrostructure, les directions techniques et départementales de l’Institution éducative doivent avoir un manuel de procédures et que les attributions soient bien définies et les termes de référence pour les consultants, clairs et concis. Dans un cadre de microstructure, les établissements scolaires élaborent des règlements intérieurs et appliquent les principes de l’administration scolaire dont la planification pédagogique et financière est pour l’essentiel. Pour atteindre les objectifs consignés dans les Plans d’éducation comme extrants, cela requiert  de véritables politiques publiques que ce soit en qualité de l’enseignement que ce soit en accès des enfants à l’école et que ce soit en renforcement des capacités institutionnelles.
  • Il faut mettre en application les principes de la carte scolaire à l’occasion de la mise en œuvre des politiques éducatives, en dépit du poids du secteur privé d’éducation. Elle est la régionalisation des réformes dans un cadre de micro-planification ou local. Prônant l’école de proximité par rapport à l’aire de recrutement des élèves et des enseignants, les principes de la carte nous permettent d’optimiser les ressources dédiées au secteur. La carte dont la marque fabrique est l’enquête annuelle va alimenter la base de données d’un système d’information pour la gestion de l’éducation ou Educational Management Information System (EMIS). Et que les décideurs du pays peuvent s‘informer en temps réel sur l’évolution de l’offre et la demande d’éducation au niveau de la micro planification. Puisque pour piloter un secteur, on doit avoir des données fiables, valides et opportunes, ne serait-ce pour de meilleures allocations de ressource au niveau local a l’occasion de la rentrée des classes, activité de la carte scolaire. Avec ces indicateurs générés par l’enquête scolaire, on peut arriver à réduire les disparités entre milieux urbains et ruraux.
  • Il faut prendre des mesures allant dans le sens de la revalorisation de la condition enseignante, cela doit passer par un corpus juridique en identifiant les vrais enseignants. Pour l’être, l’agent éducatif doit avoir une carte d’enseigner et que le Ministère de l’éducation  parle désormais  de « Permis d’Enseigner (PE) ». Par ailleurs, il faut penser à des avantages sociaux et une révision de la grille salariale. Et que le recrutement se fait toutefois, par voie de concours selon les injonctions de l’Office de Management en Ressources Humaines (OMRH) à l’Administration publique en s’appuyant sur le Décret du  17 juillet 2005 pris sous le Gouvernement ALEXANDRE-LATORTUE. Et qu’un plan de carrière soit mis en place.
  • Il faut tabler sur l’éducation non formelle en termes d’équité sociale. Dans sa politique volontariste, l’Etat doit donner un traitement particulier à l’éducation des personnes à besoins spéciaux à savoir les handicapés et les enfants surdoués. Et de plus, atteindre les gens des zones reculées du pays grâce à la formation à distance par le biais de la radio et de la télévision et même pour les étudiants, la stratégie de l’université virtuelle est à envisager, grâce à l’internet, élément de la modernité ayant changé les modes d’acquisition de connaissances. Sans oublier l’alphabétisation des adultes, avec une volonté politique, on peut mobiliser toute la gent estudiantine au cours des vacances pour se lancer dans une véritable campagne en vue d’éradiquer les 38% restants d’analphabètes à partir d’un échéancier réaliste, évidemment, avec peu de ressources en raison des actions citoyennes sans nier certes, des incitatifs. Il faut mettre en place des activités post-alpha et une structure d’éducation des adultes aux fins d’orientation des néo-alphabétisés et des jeunes des Cours du soir vers l’apprentissage des métiers et pourquoi pas vers le Fondamental et/ou le Secondaire si besoin se fait sentir. En ce sens, l’un des Objectifs de Développement Durable (ODD4) des nations-Unies sera atteint en Haïti bien avant l’horizon temporel 2030.
  • Il faut faire un choix judicieux par rapport aux théories de l’apprentissage savoir : l’approche constructiviste, l’approche behavioriste et celle du socioconstructivisme ou la pédagogie du forgeron. La méthode pédagogique qui est vendable aujourd’hui n’est autre que l’approche par compétences ou le socioconstructivisme. Elle peut révolutionner l’enseignement-apprentissage en Haïti pour pouvoir arriver à une école utilitaire et efficace. Cette méthode est en vogue dans le secteur, en raison de l’implémentation et de la généralisation de la rénovation du secondaire avec sa filière d’enseignement général. Faut-il bien se souvenir que le socioconstructivisme développé par Lev Vygotsky décrit que le comportement mesurable se traduit par une sorte de compétences ou de capacités que l’apprenant possède pour résoudre un problème-complexe dans une situation donnée. Alors que le béhaviorisme ou comportementalisme n’est autre que la Pédagogie Par Objectifs (PPO) développé par John B. Watson pour définir les objectifs pédagogiques en termes de comportement observable et mesurable de l’apprenant de façon à se donner les moyens d’évaluer l’efficacité de l’action et d’améliorer celle-ci. Sans oublier l’approche constructiviste de Piaget qui s’apparente beaucoup plus à la pédagogie Montessori qu’on peut utiliser au niveau de la petite enfance.

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Yves Roblin, Auteur : « Les Grands Axes en Matière d’Education en Haïti »

Credit : Yves Roblin, Photo personnelle.

 

 

Author

  • Yves Roblin

    Professeur d’universités | Spécialiste en planification de l’éducation | Ex-boursier de l’État Haitien à l’UNESCO-Paris | Auteur du livre : Les grands axes en matière d’éducation en Haïti | Mail: roblinyves@yahoo.fr

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