Ce texte est élaboré, en ce moment de crise sanitaire, pour sensibiliser les décideurs politiques sur l’importance d’une véritable réforme au niveau du curriculum de l’école haïtienne en vue d’arriver à une société produisant des citoyens et des citoyennes qui soient solution au problème de la cité mais non l’inverse. Car, le pays dans toute sa composante, est fatigué des crises récurrentes nous empêchant de connaitre un niveau de modernité et de progrès social.
Face à l’incertitude croissante prévalant dans le pays et aggravée par cette pandémie, notre seule planche de salut, c’est de mobiliser davantage de ressources vers un enseignement efficace dans l’optique de l’Objectif de Développement Durable (ODD4) du Congrès de New York des Nations-Unies de 2015. Faut-il bien se souvenir que l’investissement dans ce domaine produit toujours des bénéfices.
Mais des bénéfices non marchands en termes de qualité de vie de la population et de conscience citoyenne. Pour ainsi dire, de l’augmentation de la croissance économique, de la réduction de la pauvreté et de la diminution des tensions sociales sévissant dans le pays voire se protéger contre toute forme de virus.
On s’est dit que, si nombre de diplômés travaillent quelle que soit la filière de 8h à 4h avec un salaire princier tout en respectant la théorie des trois (3) huit, les manifestations ainsi que les casses s’estompent. Et ceux qui ne travaillent pas, reçoivent de l’Etat une allocation de type Welfare des USA ou de bolsa familia du Brésil pour augmenter leur pouvoir d’achat en attendant qu’ils trouvent un emploi.
De surcroit, faut-il bien favoriser la microfinance pour des diplômés qui veulent se mettre en collégial aux fins de montage des activités socio-économiques, génératrices d’emploi et de croissance. Mais les pouvoirs publics doivent surseoir sur les dépenses futiles comme l’achat de flotte de véhicules et réduire les montants faramineux de type contrat juteux des consultants travaillant dans le pays. Tout en rééquilibrant le cadre macro-économique voire assainir les finances publiques pour satisfaire les conditionnalités des institutions de Brettons Woods comme le FMI et la Banque Mondiale aux fins d’accès aux prêts et dons. En dépit du dysfonctionnement du Parlement devant lequel les accords de prêt doivent passer selon l’article 276.2 de la Constitution de 1987 amendée.
Et avec une bonne dose d’instructions civiques, morales et religieuses ainsi que d’éthique professionnelle, inscrite dans les curricula des cours, les citoyens et les citoyennes vont avoir un bon comportement dans la vie politique, économique et sociale. Par transitivité, on va arriver à la stabilité en dehors de toutes considérations d’ordre idéologique et d’intérêts de classe.
Dans la même veine, des politiques publiques peuvent être envisagées en vue d’apporter des réponses à certains problèmes auxquels fait face la population comme la sous-alimentation, la gratuité de l’enseignement de base, la construction des logements sociaux, l’accès à des soins de santé, le travail décent pour les jeunes diplômés et la réorganisation du transport en commun et sans oublier une allocation aux familles vivant dans des poches de pauvreté par une discrimination inversée.
Des considérations d’ordre épistémologique
Quand on développe un plan d’éducation avec ses outputs, on peut opter, après diagnostic, pour trois stratégies. D’abord, on peut le développer par rapport à la demande sociale en répondant aux attentes des familles. Ici, l’éducation est perçue comme un bien de consommation.
Ensuite, par rapport à la satisfaction des chefs d’entreprise. En ce sens, l’éducation est considérée comme un bien économique en se référant à la vieille approche main-d’œuvre des années 60 dont la limite c’est la méthode d’entreprise conduisant à l’auto-emploi des sortants de la formation professionnelle.
Et enfin, le plan est développé par rapport à l’analyse cout-bénéfice (ACB) pour ainsi dire dans quel sous- secteur de l’enseignement investir en regard d’un choix judicieux ? Et l’éducation est analysée comme un investissement.
Selon Gilbert TSAFAK dans son ouvrage « Comprendre les sciences de l’éducation, l’Harmattan, 2001 », l’intérêt porté à l’étude économique de l’éducation a permis de savoir que l’éducation est un investissement rentable. Donc, un facteur de développement. Toutefois, cette rentabilité dépend de la pertinence de l’éducation, de ses contenus, de ses méthodes et de sa capacité à satisfaire les besoins de l’individu et de la société.
Les économistes s’accordent pour mettre l’accent sur trois (3) méthodes relatives au calcul de rendement. La première utilisée par Schultz et Denison expliquant les sources de croissance à partir des facteurs traditionnels, travail, capital et terre ainsi que d’autres comme l’éducation pour l’augmentation de la productivité. La deuxième méthode part de l’hypothèse que l’éducation est un facteur de production ou un moyen d’améliorer la qualité du facteur travail. Et, la troisième est celle du taux de rendement. L’étude du rendement de l’investissement dans l’éducation peut se faire au niveau de l’individu, d’une collectivité et d’un système éducatif. Elle repose surtout sur la théorie du capital humain. Ce dernier est la somme des biens productifs à caractère humain. Cette théorie soutient que l’homme, agent économique, est un facteur de production que l’on peut améliorer en investissant dans son éducation et dans sa santé.
Haïti, théâtre d’une conjoncture morose, aggravée par un petit virus
Le pays s’enlise dans un climat de désarroi avec des dénonciations tous azimuts de part et d’autre et accentué par la maladie infectieuse qu’est la covid-19. C’est la débâcle des décideurs politiques. Tout le monde est perplexe et se demande de quoi, demain sera-t-il fait ? C’est la faiblesse de l’école. Jusqu’à présent, le capital humain dont parlait Becker, prix Nobel de l’économie, que produit « l’école haïtienne » n’a pas pu proposer une alternative au pays aux fins de modernité et de stabilité.
Michel SOUCAR aurait écrit « 30 ans de crise pour un pays normal ». Comme il avait écrit dans le passé un ouvrage titré « 16 ans de lutte pour un pays normal ».
Ainsi se demande-t-on avec Jean Price-Mars du mouvement indigéniste des années 1920 quelle est la vocation de l’Elite en Haïti ? Les gouvernements qui se sont succédé, quels ont été leurs programmes ? Et les Présidents pendant les trois dernières décennies, qu’est- ce qu’ils ont fait pour le pays en termes de paix sociale et de croissance ? Et les pays dits amis d’Haït dans le cadre des accords bi et multilatéraux relatifs au financement depuis plus d’un demi-siècle ? Mais pour quels bénéfices ? Pour quel accompagnement ?
Je ne peux pas dire comme l’écrivain français de tendance messianique Zola « J’accuse ». Toutefois, il est temps que la nation demande des comptes comme écrit l’historien Alain Turnier. Et a-t-on le droit de s’interroger davantage sur les causes de nos malheurs avec l’économiste Edmond Paul ayant marqué la seconde moitié du 19eme siècle haïtien, pour parodier Eddy A. JEAN, de regrettée mémoire, brillant professeur à l’INAGHEI et aux Encyclopédistes d’Haïti.
Un diagnostic accablant
Lorsqu’on fait le diagnostic du secteur éducatif, on décèle toutes les pathologies dont souffre ce secteur et pour lesquelles des palliatifs sont proposés sous forme de grands axes, consignés dans un plan d’éducation, tels que la qualité de l’enseignement de base, l’accroissement de l’accès des enfants à l’école, l’amélioration de l’adéquation formation-emploi et le renforcement des capacités institutionnelles avec un bon système d’information pour la gestion de l’éducation.
Parfois, on a l’impression que l’école forme et déverse des diplômés qui soient sulfureux, égoïstes, acculturés, ambitieux et brasseurs d’affaire. Et l’ex-ministre de l’éducation, Dr Charles Tardieu a été très scandaleux et provocateur lorsqu’il parle de corrompus. Par contre, loin de l’idée de manichéisme, je rencontre des gens sur mon parcours qui puissent être considérés comme des bénéfices pour la société. Que ce soit dans la filière de l’éducation, que ce soit dans la filière de la justice et que ce soit dans le secteur religieux.
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Pierre Bourdieu et John Dewey soutiennent que les problèmes politiques, c’est le corollaire de l’école. Il faut bien qu’on le comprenne qu’en Haïti, nous n’avons pas une école haïtienne à proprement parler voire une école républicaine qui porte une pensée. Mais plutôt des écoles pour ainsi dire congréganiste, protestante, laïque dont le point d’orgue, c’est l’extraversion. En référence à une économie extravertie qui produit pour le marché extérieur.
Entretemps, se dessine dans le pays un phénomène auquel assistons-nous impuissants celui de « la fuite des cerveaux » où des diplômés, toutes filières confondues, sont en instance de départ pour des cieux qui soient plus cléments. Malheureusement, le pays n’a pas les moyens pour mener une politique de rétention par rapport à l’émigration des sortants du système éducatif. Et comme dit l’autre, ils n’ont pas voyagé à l’esprit de retour mais plutôt ils sont partis.
La presse haïtienne rapporte, avant la crise sanitaire de covid-19 que plus de 85% de nos diplômés vivent à l’étranger particulièrement en Amérique du Nord. C’est un fort cout d’opportunité pour le pays qui a besoin tant de compétences pour son niveau de modernité et de décollage économique.
En clair, pour la reconstruction du pays depuis le séisme dévastateur du mardi 12 janvier 2010 de magnitude 7.3 à l’échelle de Richter et le passage de l’ouragan Matthieu du mardi 4 octobre 2016 gradué à l’échelle 4 de Saffyr-Sympson pour des rafales de 230 kms/h.
Une classe moyenne décapitalisée.
La reproduction de l’école creuse un grand fossé entre les gens vivant dans l’abondance et ceux dans la plus deshumanisante misère. Entre les deux groupes sociaux (bourgeoisie et masse populaire), existant les classes moyennes qui ruinent avec la dévaluation de la monnaie nationale par rapport à la devise américaine. Se demande-t-on pourquoi cette hausse en pleine pandémie où les ports et les aéroports sont semi- fermés ? A quoi ça sert ?
Est-ce le retour du vieux mercantilisme marqué par la thésaurisation de l’or et le contrôle de la balance commerciale ? Cela nous fait penser aussi à la théorie de la main invisible de l’économiste écossais Adam Smith. Aussi se questionne-t-on quelles sont les fonctions de la Banque des banques qu’est la Banque de la République d’Haïti (BRH) ?
Toutefois, maintenant, il y a une nette appréciation de la gourde par rapport au dollar. Les économistes sont très sceptiques. Ne peut-on pas parler de « miracle negre » pour utiliser une expression d’historien. Puisque cela défie toute analyse voire tout modèle. Donc, une véritable dualité entrainant un malaise dans la société. Il y a une lutte incessante de classes sociales en Haïti hormis le problème de l’idéologie de couleur, dans une conception marxiste de l’histoire.
La pauvreté dans les grandes villes est un terreau fertile pour le pullulement des cours des miracles ou des bidonvilles dont le tableau est déjà peint par Victor Hugo, poète français, dans le courant parnasse du 19eme siècle européen.
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Yves Roblin | 1ère partie de l’article