Accueil ENSEIGNEMENT Handicap et Inclusion Dyslexie en Haïti: entre diagnostic, formation et prise en charge, tout est à (re) faire | 2ème partie

Dyslexie en Haïti: entre diagnostic, formation et prise en charge, tout est à (re) faire | 2ème partie

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Élève dyslexique en Haïti

Le titre de cette partie est provocateur dans le sens qu’il est impossible pour nous d’établir avec fiabilité des chiffres sur la situation des élèves dyslexiques en Haïti. Certaines questions comme celles sous-mentionnées ne trouveront pas de réponse dans cet article. Combien d’enfants dyslexiques en Haïti? Combien sont scolarisés dans les écoles ordinaires? Combien sont scolarisés dans les écoles spécialisées? Quel type d’accompagnement préconisé?  Par les professionnels d’éducation et/ou de santé mentale, ou encore par l’Etat via le MENFP?

L’étiologie de la dyslexie est plutôt connue et unanimement acceptée par les professionnels concernés (déficit d’accès au langage oral et écrit, retard de langage, difficultés morphosyntaxiques, lenteur avérée dans la vitesse de traitement de l’information, causes génétiques) Dans le contexte haïtien, nous avons pu constater qu’il existe des causes intermédiaires non négligeables en lien avec la dyslexie. Il s’agit de la mauvaise formation pédagogique des maîtres, des méthodes d’apprentissage inadaptées, des rythmes de progression des acquisitions non-respectées et des classes surchargées. A noter que l’apprentissage de la lecture est un acte très complexe (Jumel, 2014).

Formation des « enseignants spécialisés »

Le métier d’enseignant spécialisé est devenu incontournable pour le système éducatif haïtien. Le MENFP, a longtemps négligé les catégories d’enfants en situation de handicap et/ou à besoins éducatifs particuliers par le simple fait qu’il n’existe aucun corps de métier d’enseignant spécialisé, ni de formation appropriée dans les facultés des Sciences de l’éducation` et centres de formations des enseignants. La création du corps d’enseignant spécialisé et leur formation ne vont pas résoudre automatiquement la question de l’inclusion scolaire en Haiti. Il faut que ces actions participent à une volonté politique et culturelle pouvant permettre de changer les représentations sociales que nous faisons du handicap en particulier et de l’éducation spéciale en général.

Plusieurs cohortes d’enfants portant une déficience, vivant avec un trouble, ou éprouvant des difficultés scolaires quelconque, se retrouvent exclus ou marginalisés par le système éducatif, uniquement en raison de leurs besoins éducatifs particuliers. A ce titre, l’enseignant spécialisé est un spécialiste de l’accompagnement pédagogique, un praticien de diverses méthodes et dispositifs d’accompagnement. Ce qui lui confère une double fonction de personne-alerte pour toute difficulté ou trouble lié à l’apprentissage et de personne-ressource pour toute orientation vers d’autres professionnels.

Quels Dispositifs de prise en charge de la Dyslexie en Haiti ?

D’entrée de jeu, nous disons que la prise en charge de la dyslexie est pluridisciplinaire. Autrement dit, il faut l’expertise de plusieurs professionnels (orthophoniste, psychologue, neuropsychologue, éducateur spécialisé, neurologue, orthopédagogue, ergothérapeute, ophtalmologue psychopédagogue,…) pour, dans un premier temps, poser le diagnostic, et dans un second temps, de mettre en place un dispositif d’accompagnement pédagogique et/ou une rééducation orthophonique individualisée. Le diagnostic de la dyslexie est conseillé entre la 3ème  et 4ème   année fondamentale (Zorman et al, 2003) ; toutefois, il est remarqué ou signalé bien plus tard dans le contexte haïtien en 5ème ou 6ème année Fondamentale. Certaines fois, on le constate en 7ème année fondamentale. Les difficultés d’apprentissage de la lecture sont un secret polichinelle dans les écoles haïtiennes. Certains éléments de notre enquête révèlent que la dyslexie est un sujet tabou dans l’enceinte de l’école. Les parents, les responsables d’écoles, les professeurs et la société en général, ont une représentation de l’école. C’est l’endroit où l’on va pour apprendre à lire et à écrire. Voilà, une chose que l’on appelle « dyslexie » qui dit que l’enfant (mon enfant) a des difficultés à lire, et dans une certaine mesure, à écrire aussi, il y a des troubles associés. En plus de cela, selon certaines recherches disponibles, l’orthophonie est de loin la meilleure prise en charge de la dyslexie. (Metz-Lutz, Demont et al, 2004).  Il n’existe que deux (2) spécialistes en orthophonie pour toute la République et les séances ne sont pas à la portée de tous les parents.

L’apprentissage de la lecture commence en 1ère année fondamentale au regard du curriculum en vigueur. (Gaudreau, 2004). Cependant, certaines écoles préscolaires[1] commencent avec ce qu’elles appellent des classes de pré-lecture. L’enseignant a le choix entre la méthode syllabique basée sur les lettres et les sons de l’alphabet et la méthode globale, qui fait appel à la mémoire visuelle de l’enfant ; ou les deux dans certains cas de figure.

Il n’y pas de dispositif d’accompagnement pédagogique individualisé (PAPI) connu. Cependant il est à souligner que certains enseignants, tant bien que mal, essaient d’apporter une aide aux élèves en difficultés d’apprentissage suivant l’établissement dans lequel il est scolarisé. Quant à la prise en charge orthophonique, cela reste à la discrétion des parents et/ou la recommandation de l’école.

Entre le dispositif d’accompagnement pédagogique (enseignant)  et le dispositif  de rééducation orthophonique (orthophoniste, orthopédagogie, psychologue, psychopédagogue, médecin…) le problème reste entier en ce qui concerne la dyslexie.

Présentation du modèle DECOMAC

DÉCOMAC (Détecter, Comprendre et Accompagner) est un modèle en cours de développement permettant d’établir un protocole de diagnostic et de prise en charge de la dyslexie dans un contexte scolaire. Il met en place la procédure et le rôle de chaque acteur dans le processus de diagnostic jusqu’à la prise en charge par professionnels concernés sous le contrôle des institutions étatiques compétentes.

Description du modèle DECOMAC

Ce modèle de diagnostic et de prise en charge est conçu sur trois (3) piliers autour de l’école. Il s’agit de  Détecter, de Comprendre et d’Accompagner.

Détecter (Dé)

Le pilier Détecter permet de repérer tout signe, toute difficulté liée à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. L’enseignant est la personne idéale pour jouer ce rôle. Cette détection effectuée par l’enseignant permettra aux professionnels concernés de dépister, puis poser un diagnostic. Cette partie se fait en trois (3) étapes consécutives. (repérage, dépistage, diagnostic).

Comprendre (Com)

Le pilier Comprendre apporte toute la compréhension en termes de connaissances, de compétences et formation aux enseignants et aux professionnels de santé mentale pour aborder le problème. Les spécialistes de l’éducation et de santé formés établiront plus tard les dispositifs d’accompagnement pédagogique et de rééducation orthophonique individualisée.

Accompagner (Ac)

Le pilier Accompagner met en place tout dispositif de prise en charge de la dyslexie, que ce soit à l’école ou en clinique. Il est question deux (2) grandes catégories d’accompagnement : pédagogique et orthophonique s’il n’y a pas de troubles associés. Certains cas nécessitent d’autres dispositifs de type médical, psychologique, ergothérapeutique, etc.

Ce modèle de protocole et de diagnostic doit être encouragé et validé par le ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) et  le ministère de la santé Publique et de la Population (MSPP). Ces deux (2) structures étatiques ont respectivement des rôles importants dans la nomenclature des différentes catégories de prise en charge et dans la reconnaissance statutaire de l’élève dyslexique et des professionnels de l’éducation et de santé autorisés de poser un diagnostic de la dyslexie.

Perspectives

En guise de conclusion, nous terminons avec ces interrogations : Qui peut poser un diagnostic de la dyslexie ? Qui doit valider ce diagnostic ? Qui va assurer le suivi pédagogique, médical ou orthophonique ? et enfin qui va payer ? Autant de questions qui trouveront de réponses certainement dans l’implication des institutions de l’Etat, l’une en charge de l’éducation et l’autre de la santé publique. Si certains professionnels existent (psychologues, pédagogues) en quantité suffisante, d’autres champs disciplinaires tels : l’orthophonie, l’orthopédagogie, l’ergothérapie, l’éducation spéciale et la psychopédagogie sont à promouvoir dans nos universités afin d’attirer un nombre considérable des jeunes. Cela dit,  il faut les former et les donner un statut réglementant leur champ de compétences. Tout ou presque est à (re) faire dans ce domaine si important.

Références Bibliographiques

BOWEN, C. (2007), Les difficultés phonologiques chez l’enfant : guide à l’intention des familles, des enseignantes et des intervenantes en petite enfance. Coll. « Chenelière/didactique. Langue et communication ». Montréal: Chenelière éducation, 60 [1] p.

GAUDREAU, A. (2004), Émergence de l’écrit : éducation préscolaire et premier cycle du primaire Coll. « Chenelière/didactique. Langue et communication ». Montréal : Chenelière éducation, 300 p.

JUMEL, B. (2014), Aider l’enfant dyslexique. Paris : InterÉditions, 228 p.

JUMEL, B. (2016) Dyslexie : à qui la faute? Coll. « Enfances. Psychologie et pédagogie ». Paris : Dunod, 244 p.

MARTIN, K., L. (2011), Cet enfant a-t-il un problème de langage? : 50 questions-réponses à l’intention des parents, des éducateurs et des enseignants. Coll. « Comprendre: enfance ». Bruxelles : De Boeck, 145 p.

METZ-LUTZ, DM.-N. ; DEMONT, E. ; et al, (2004) Développement cognitif et troubles des apprentissages : évaluer comprendre rééduquer et prendre en charge. p 245-270, Solal éditeur, Marseille.

VINCENT, É.(2007), La dyslexie. Coll. « Les essentiels Milan, no 264 ».Toulouse : Milan, 63 p.

ZORMAN, M. ; LEQUETTE, Ch. ; POUGET ; G. (2003) dyslexies : intérêt d’un dépistage et d’une prise en charge précoce à l’ecole.

 

2ème et dernière partie de l’article. 

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RALPHSON PIERRE *

Doctorant en Sciences de l’éducation

Laboratoire CIRNEF – EA 7454 | Centre interdisciplinaire de Recherche Normand en Éducation et Formation

Website:  http://cirnef.normandie-univ.fr/

École Doctorale 556 – HSRT | Université de Caen Normandie, France | www.unicaen.fr

Courriel: ralphson.pierre@unicaen.fr

 

 

[1] Ecole Maternelle \ Kindergaten.

Author

  • Ralphson Pierre

    Directeur et Fondateur de OmniScient Info | Psychopédagogue | Technopédagogue | Doctorant en Technologie Educative | Spécialiste des TICE et de l'Education Inclusive/Spéciale (autisme)

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