Accueil ENSEIGNEMENT Handicap et Inclusion Dyslexie en Haïti: entre diagnostic, formation et prise en charge, tout est à (re) faire | 1ère Partie

Dyslexie en Haïti: entre diagnostic, formation et prise en charge, tout est à (re) faire | 1ère Partie

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Résumé:

Les élèves en situation de handicap et/ou à besoins éducatifs particuliers en Haïti sont une préoccupation majeure pour le système d’éducation, qui depuis plusieurs années, a du mal à instaurer une approche inclusive dans la scolarisation.

Dans cette communication, il sera question de mettre en évidence les mécanismes de dépistage de la dyslexie, la formation des enseignants et la prise en charge en contexte haïtien. Une fois le diagnostic posé, l’élève dyslexique se trouve entre l’abandon de l’Etat, le manque de professionnels de santé mentale et l’absence de formation spécialisée des enseignants pour mettre en place des dispositifs d’accompagnement. Cette intervention consiste à faire un panorama général des connaissances actuelles sur la dyslexie en Haïti.

Au regard des interrogations suivantes: Qui peut poser un diagnostic de la dyslexie en Haïti? Quel type de prise en charge préconisée? Quelle formation continue pour les enseignants? Nous proposons dans notre intervention le modèle DÉCOMAC (Détecter, Comprendre et Accompagner) qui consiste à établir le protocole de diagnostic, à encourager la formation du personnel enseignant et sanitaire, et à mettre en place la nomenclature des différentes catégories pour la prise en charge des élèves dyslexiques Haïtiens.

Mots clés: Dyslexie, Diagnostic, Accompagnement, Modèle DÉCOMAC, Inclusion, Haïti.

Introduction

La question de scolarisation tous les enfants, y compris ceux en situation de handicap et/ou à besoins éducatifs particuliers nécessitent un ensemble de dispositifs préalables et renvoient à de nombreuses conceptions et approches inclusives. Du diagnostic à la prise en charge, en passant par la formation spécialisée (enseignants et professionnels de santé mentale),ces trois grands aspects échappent royalement aux autorités sanitaires et éducatives de la République d’Haïti. En ce qui concerne l’élève dyslexique, les facteurs étiologiques responsables de ce trouble, souvent évoqués, sont génétiques, toutefois, d’autres facteurs sont mis en cause mais l’école et l’enseignant doivent créer un environnement favorable à l’apprentissage de la lecture pour ces élèves au regard de l’approche inclusive de l’éducation.

Au-delà de toute autre considération, il faut rappeler que l’élève dyslexique haïtien évolue dans un espace éducatif sans cadre juridique, réglementaire et institutionnel reconnaissant son statut spécial et garantissant son droit à la scolarisation. C’est dans ce contexte difficile et incertain que de nombreux parents tentent, dans un premier temps de trouver un professionnel qualifié et reconnu par les instances compétences en la matière pour poser un diagnostic; et dans un  seconde temps, pour établir un Plan d’Accompagnement Pédagogique Individualisé (PAPI). Tout ceci est possible si l’élève est déjà scolarisé dans un établissement capable de prendre en charge les troubles spécifiques du langage oral et écrit. Sinon c’est le début du parcours du combattant pour la famille.

La dyslexie, par définition, est un trouble durable et persistant de lecture touchant la maitrise de la langue orale et écrite. Ceci étant dit, l’enseignant, de par la complexité du trouble doit etre celui qui donnera l’alerte aux professionnels spécialisés afin qu’une équipe pluridisciplinaire puisse procéder à l’établissement du diagnostic (Vincent, 2007). L’enseignant est le témoin privilégié des apprentissages de l’élève, c’est bien pour cette raison qu’il doit participer activement aux actions de détection, d’alertes, de préventions et d’adaptation aux difficultés liées à la lecture et à l’écriture. D’où la nécessité de former les enseignants à la problématique de handicap et aux difficultés et troubles d’apprentissage. (Bowen, 2007)

A rappeler que la dyslexie fait partie de la catégorie des “Dys” tels que: dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie. Dans cet article, seule la dyslexie nous intéresse même si l’on sait qu’il existe assez souvent des troubles associés.

Situation de l’Education Spéciale en Haiti

La constitution haïtienne en ses articles 32. 32.1; 32.2; 32.3 reconnait le droit à l’éducation de tous les enfants. Elle a même stipulé que les matériels et manuels scolaires doivent etre mis à disposition des élèves du fondamental gratuitement. Au regard de la loi-mère de la République, les enfants en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers sont effectivement concernés par ce dispositif juridique et réglementaire. D’autant plus, la loi de mai 2012 portant sur l’intégration des personnes handicapées garantit, une fois de plus, le droit à la scolarisation de cette catégorie en son article 32 où elle met en garde les tentatives d’exclusion du système éducatif. Non obstant à ce jour, il n’existe aucun centre scolaire public pouvant accueillir des personnes en situation de handicap et leur accès est loin d’etre libre comme il est dit dans l’article 33. La scolarisation en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers n’est pas possible en état actuel des choses (infrastructures scolaires inadaptées, matériels et manuels scolaires inadaptés, manuels audio, manuel en braille, absences de corps d’enseignants spécialisés, pas d’écoles publiques spéciales, difficile application de la loi de Mars 2012). Cependant certaines initiatives privées ont permis de prendre en charge certains enfants dans des centres scolaires spécialisés privés. Ces écoles dites “spéciales” existent à 85% dans la capitale, principalement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Certaines villes de Provinces en sont privées tout simplement.

L’Éducation spéciale a été toujours traitée en parent pauvre par le Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP). Il suffit de regarder le rôle des structures[1] (CASAS, DSS) en charge l’éducation à la santé au MENFP pour comprendre la place accordée à cette problématique. Depuis de nombreuses années, le gouvernement haïtien n’arrive pas à répondre à la demande croissante de l’école. Son incapacité à contrôler le développement du secteur de l’éducation privée en Haïti met davantage à mal son rôle. Un faible taux de scolarisation, une disparité importante dans l’accès à l’éducation, discrimination entre zones rurales et zones urbaines, entre écoles privée et publiques etc…

De 1801 à 1987 malgré les nombreuses constitutions Haïtiennes, aucune n’avait fait état de la situation des personnes en situation de handicap. Il a fallu attendre la constitution de Mars 1987 dans son article 32-8 pour lire ce qui suit: « L’Etat garantit aux handicapés et aux surdoués des moyens pour assurer leur autonomie, leur éducation, leur indépendance ».C’est un article d’importance qui aurait dû être renforcé par des lois d’application car c’est la première fois dans toute l’histoire du pays qu’on parlait de scolarisation des ” personnes surdouées”. Une catégorie qui n’est pas prise en charge dans le système d’éducation en Haiti. Cette garantie prévue par la constitution en vigueur jusqu’à nos jours, va attendre plus de 20 ans pour que le parlement haïtien ratifie en 2007, les conventions de l’organisation des Etats américains (OEA) et l’organisation des Nations-Unies (ONU) grâce aux nombreux mouvements et actions des associations de personnes en situation de handicap pour avoir une reconnaissance juridique. A la même année, l’ancien président Haïtien René Garcia Préval a créé par arrêté présidentiel la secrétairerie d’Etat à l’intégration des personnes handicapées (BSEIPH) sous la tutelle du ministère des affaires sociales et du travail (MAST). En Mai 2010, la chambre des députés a voté à l’unanimité la loi portant sur l’intégration des personnes handicapées, et deux ans plus tard, soit mai en 2012, c’est au tour du sénat de la république d’Haïti de la voter favorablement.

Au-delà de ce constat alarmant dans ce domaine qui est l’inclusion des personnes en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers, c’est tout le système éducatif haïtien qui montre son incapacité à inclure tout le monde dans un processus de scolarisation. Conscient que l’inclusion scolaire n’est qu’un volet de l’inclusion sociale, de ce fait, il est normal qu’on aille chercher les causes du problème au-delà de l’institution scolaire. Cependant elle n’est pas mise hors de cause. La conception traditionnelle de l’école qui veut qu’elle soit élitiste, homogène et sélective est une difficulté majeure (Cormier, 2006). L’éducation spéciale est un maillon faible du système éducatif haïtien; ce qui ne favorise pas la scolarisation des enfants et adolescents en situation de handicap.

Élève dyslexique en Haïti

Le titre de cette partie est provocateur dans le sens qu’il est impossible pour nous d’établir avec fiabilité des chiffres sur la situation des élèves dyslexiques en Haïti. Certaines questions comme celles sous-mentionnées ne trouveront pas de réponse dans cet article. Combien d’enfants dyslexiques en Haïti? Combien sont scolarisés dans les écoles ordinaires? Combien sont scolarisés dans les écoles spécialisées? Quel type d’accompagnement préconisé?  Par les professionnels d’éducation et/ou de santé mentale, ou encore par l’Etat via le MENFP?

L’étiologie de la dyslexie est plutôt connue et unanimement acceptée par les professionnels concernés (déficit d’accès au langage oral et écrit, retard de langage, difficultés morphosyntaxiques, lenteur avérée dans la vitesse de traitement de l’information, causes génétiques) Dans le contexte haïtien, nous avons pu constater qu’il existe des causes intermédiaires non négligeables en lien avec la dyslexie. Il s’agit de la mauvaise formation pédagogique des maîtres, des méthodes d’apprentissage inadaptées, des rythmes de progression des acquisitions non-respectées et des classes surchargées. A noter que l’apprentissage de la lecture est un acte très complexe (Jumel, 2014).

Formation des « enseignants spécialisés »

Le métier d’enseignant spécialisé est devenu incontournable pour le système éducatif haïtien. Le MENFP, a longtemps négligé les catégories d’enfants en situation de handicap et/ou à besoins éducatifs particuliers par le simple fait qu’il n’existe aucun corps de métier d’enseignant spécialisé, ni de formation appropriée dans les facultés des Sciences de l’éducation` et centres de formations des enseignants. La création du corps d’enseignant spécialisé et leur formation ne vont pas résoudre automatiquement la question de l’inclusion scolaire en Haiti. Il faut que ces actions participent à une volonté politique et culturelle pouvant permettre de changer les représentations sociales que nous faisons du handicap en particulier et de l’éducation spéciale en général.

Plusieurs cohortes d’enfants portant une déficience, vivant avec un trouble, ou éprouvant des difficultés scolaires quelconque, se retrouvent exclus ou margilisés par le système éducatif, uniquement en raison de leurs besoins éducatifs particuliers. A ce titre, l’enseignant spécialisé est un spécialiste de l’accompagnement pédagogique, un praticien de diverses méthodes et dispositifs d’accompagnement. Ce qui lui confère une double fonction de personne-alerte pour toute difficulté ou trouble lié à l’apprentissage et de personne-ressource pour toute orientation vers d’autres professionnels.

[1] CASAS: Commission d’adaptation Scolaire et d’Appui Social  / Ministère de l’Education Nationale – MENFP

DSS : Direction de Santé Scolaire  / Ministère de l’Education Nationale – MENFP

Références Bibliographiques

BOWEN, C. (2007), Les difficultés phonologiques chez l’enfant : guide à l’intention des familles, des enseignantes et des intervenantes en petite enfance. Coll. « Chenelière/didactique. Langue et communication ». Montréal: Chenelière éducation, 60 [1] p.

GAUDREAU, A. (2004), Émergence de l’écrit : éducation préscolaire et premier cycle du primaire Coll. « Chenelière/didactique. Langue et communication ». Montréal : Chenelière éducation, 300 p.

JUMEL, B. (2014), Aider l’enfant dyslexique. Paris : InterÉditions, 228 p.

JUMEL, B. (2016) Dyslexie : à qui la faute? Coll. « Enfances. Psychologie et pédagogie ». Paris : Dunod, 244 p.

MARTIN, K., L. (2011), Cet enfant a-t-il un problème de langage? : 50 questions-réponses à l’intention des parents, des éducateurs et des enseignants. Coll. « Comprendre: enfance ». Bruxelles : De Boeck, 145 p.

METZ-LUTZ, DM.-N. ; DEMONT, E. ; et al, (2004) Développement cognitif et troubles des apprentissages : évaluer comprendre rééduquer et prendre en charge. p 245-270, Solal éditeur, Marseille.

VINCENT, É.(2007), La dyslexie. Coll. « Les essentiels Milan, no 264 ».Toulouse : Milan, 63 p.

ZORMAN, M. ; LEQUETTE, Ch. ; POUGET ; G. (2003) dyslexies : intérêt d’un dépistage et d’une prise en charge précoce à l’ecole.

 

RALPHSON PIERRE *

Doctorant en Sciences de l’éducation

Laboratoire CIRNEF – EA 7454 | Centre interdisciplinaire de Recherche Normand en Éducation et Formation

Website:  http://cirnef.normandie-univ.fr/

École Doctorale 556 – HSRT | Université de Caen Normandie, France | www.unicaen.fr

Courriel: ralphson.pierre@unicaen.fr 

Author

  • Ralphson Pierre

    Directeur et Fondateur de OmniScient Info | Psychopédagogue | Technopédagogue | Doctorant en Technologie Educative | Spécialiste des TICE et de l'Education Inclusive/Spéciale (autisme)

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