Accueil GOUVERNANCE « L’Education pour tous » tel est le slogan en Haïti.  Qu’en est-il des enfants des milieux ruraux.  

« L’Education pour tous » tel est le slogan en Haïti.  Qu’en est-il des enfants des milieux ruraux.  

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Attention : texte publié en 2008.

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Contrairement à certains pays développés où l’on utilise le terme « obligatoire » pour désigner l’importance de l’éducation dans  une société, en Haïti le discours politique sur ce sujet est moins fort. On préfère utiliser l’expression « Education pour tous ». En France par exemple, depuis les années 1881/1882, avec la réforme de Jules FERRY, l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de seize (16) ans pour tous les jeunes. Plus proche de chez nous, à Cuba par exemple, l’état a fait de l’instruction de sa jeunesse la priorité de son gouvernement. Dans ce pays voisin, l’analphabétisme est presque quasi inexistant.

Alors qu’en Haïti, on a des fois l’impression, envoyer ses enfants à l’école est devenu un parcours du combattant pour les parents, notamment ceux de la classe moyenne. La pauvreté qui ronge le pays touche à toutes les sphères de la société. L’impuissance de l’état à éradiquer ce fléau qu’est l’analphabétisme est déconcertante.

Avant même de dresser la situation scolaire des enfants des zones rurales, il est important d’analyser le système éducatif haïtien dans son ensemble. Dans un pays où l’on compte plus de trois millions d’enfants en âge d’aller à l’école, seul 52% étaient scolarisés en 1996[1] (JOINT, 2006). Toujours selon les estimations de l’auteur, en Haïti, les écoles publiques, dites gratuites, ne représentent que 17% de l’ensemble des institutions scolaire du pays, contre 83%  des écoles privées.

De tel constat laisse à présager deux choses ; soit l’état via le Ministère de l’Education Nationale de la Jeunesse et des Sports (MENJS) est dépassé par la demande de la population haïtienne, soit il est volontairement démissionnaire et se laisse substituer par le privé.

Analysons les deux hypothèses. En dépit de son taux d’analphabétisme alarment (66%), la société haïtienne valorise énormément l’instruction. D’ailleurs, elle est le moyen le plus sûr d’accéder à un grade socio/professionnel en Haïti. Conscients des retombées que cela pourrait apporter plus tard aux enfants, les parents haïtiens, qu’ils soient riches ou pauvres vont très vite faire le choix de l’éducation pour leurs congénères. Une situation qui créée une forte disparité entre l’offre et la demande. L’état, qui normalement devrait être le premier prestataire des services  éducatifs, propose très peu d’offre. D’ailleurs depuis les années quatre-vingt en dépit des obligations de la constitution haïtienne[2], très peu d’institutions publiques ont vu le jour, tandis que la demande de la population ne cesse d’augmenter, notamment à cause de l’explosion démographique. Dans ce cadre figure, c’est tout un système qui laisse au bord de la route ces enfants, en dépit de leur volonté d’apprendre.

Deuxième hypothèse, l’état haïtien n’est pas prêt à faire de l’éducation sa politique principale. Certes, le pays est très pauvre financièrement, et fait face à de sérieuses difficultés. Mais la pauvreté explique-elle l’état de délabrement du système éducatif haïtien ? Je n’en suis pas sûr. Le Cuba, pays voisin qui subit un embargo économique depuis les années soixante (1962), arrive à ouvrir l’accès de l’instruction à tout son peuple. En Haïti, il suffit de voir le budget alloué à l’éducation pour se rendre compte que la situation est loin de s’améliorer. Le pays consacre 15% de son PIB à l’éducation. De cette somme, la part de l’État ne représente que 2,5%. (BALLARGEON, 1997 ; JOINT, 2006).  Tandis que tous les spécialistes de l’éducation, ainsi que l’ancien ministre de l’Education National, M. Jacques Édouard ALEXIS, actuellement premier ministre du gouvernement haïtien sont unanimes : l’État doit amplifier ses actions éducatives pour sortir le pays de la misère et faire progresser l’économie haïtienne. Depuis les années soixante-dix, on a assisté à beaucoup de promesses de la part des dirigeants politiques, mais très peu d’actions concrètes qui vont dans le sens d’une réelle amélioration du système en question. Peu d’écoles ont été créées, les enseignants ne sont pas toujours recyclés. Les institutions existantes sont souvent mal entretenues et concentrées dans les zones urbaines, les enfants des paysans y ont très peu accès.

Si la situation est aussi critique, il faut dire également que les multiples crises politiques que connaît le pays depuis les années quatre-vingt n’ont pas facilité les choses. Depuis 1986, le pays essaie tant bien que mal de trouver la voie démocratique, mais à chaque fois cela s’est soldé soit par un coup d’état ou par un départ forcé des dirigeants politiques. L’instabilité politique a joué un rôle prépondérant dans le retard du système éducatif haïtien. L’absence de continuité politique est l’un des facteurs qui ont mis en difficulté l’application de la réforme de BERNARD, qui pourtant était très ambitieuse et contenait des éléments pouvant améliorer le système éducatif.

Vu l’État des choses, les actions ponctuelles, souvent périphériques des différents ministres depuis 1986, ne font que camoufler les vrais problèmes éducatifs du pays. On ne saurait avoir de vraies solutions si l’État n’entreprend pas de grande réforme et accepte de l’accompagner du budget nécessaire. Certes, il ne peut à lui seul palier à tous les problèmes, la société civile, les entreprises, ont aussi leur rôle à jouer, mais il revient aux autorités de donner les directives et de sensibiliser les acteurs à prendre part dans la réalisation de ce grand chantier.

Dans tous les pays où le taux de l’analphabétisme est négligeable, notamment les pays occidentaux, l’éducation revêt de la responsabilité de l’État. Il est le premier garant de la formation du peule. Alors qu’en Haïti, on assiste à l’effet contraire, le secteur privé occupe presque totalement cette sphère. Les écoles congréganistes, internationales et privées accueillent plus d’élèves que les institutions publiques. Une situation qui est loin d’être sans conséquence pour la population haïtienne car elle créée une inégalité scolaire qui en aval vient conforter les inégalités sociales déjà existantes. Dans un pays où  l’école est privatisée, l’instruction est offerte selon les moyens des clients, c’est-à-dire la qualité de l’enseignement dépend de ce que peut payer un parent. Les enfants des plus pauvres qui parviennent à franchir les portes de l’école seront toujours dans des institutions qui reflètent la réalité socio/économique de leurs parents.

En dépit de la bonne volonté des parents haïtiens, ils sont confrontés à d’énormes difficultés à pourvoir faciliter aux enfants une scolarités continue. Nombreux sont les parents qui mettent prématurément un terme à la scolarisation des enfants à cause des soucis financiers. Des fois, il suffit l’arrivée d’un nouveau-né dans la famille pour que le couple ne tienne plus le coup.

Contrairement à certains pays où les aides familiales existent, en Haïti, les parents n’ont qu’à miser que sur leurs propres ressources. Ceux qui n’ont pas d’activité qui en génère, sont à la merci des familles proches résidant à l’étranger. Tandis que ceux qui sont hors du pays d’origine essaient à peine de joindre les deux bouts. Leurs conditions existentielles dans les pays d’accueils ne leur permettent pas d’offrir une assistance permanente à ceux-là, restés en Haïti.

Les enfants des milieux ruraux

Si l’on estime que la situation des parents à pouvoir scolariser les enfants en zone urbaine est difficile, dans les villages reculés, le tableau est beaucoup plus sombre. C’est surtout dans ces endroits que les chiffres font exploser les statistiques sur l’analphabétisme en Haïti. En effet, selon les estimations de L. A Joint (2005), seuls 25% des enfants des milieux ruraux sont scolarisés, contre 66% en centre urbain. Il est très fréquent de rencontrer toute une famille analphabète en s’éloignant de la capitale. Cette situation qui peut paraître anodin dans certains pays, est malheureusement courant dans les villages reculés d’Haïti.

La volonté des parents des zones rurales de scolariser leurs enfants ne fait aucun doute, sauf qu’ils sont dépourvus de moyens de le faire. Ils assistent impuissamment aux échecs des plus petits. Il n’est pas rare de tomber sur des cas des jeunes adolescents qui ne savent pas comment est faite une salle de classe. Etant donné que les parents n’ont pas les moyens de les envoyer à l’école, ces derniers rentrent très vite dans la vie active. Ils n’ont d’autre choix que celui des tâches domestiques et la multiplication de petits boulots agricoles. Dans ce cadre figure souvent, les garçons dès leur plus jeune âge, accompagnent les parents qui sont eux-mêmes analphabètes au jardin. Tandis que les filles se consacrent à des tâches ménagères. Autrement dit, ils sont dans un cercle vicieux car s’ils ne sont pas scolarisés, ils ne peuvent pas aspirer à un avenir mieux que celui de leurs parents. En restant hors de l’école, les enfants des villages sont condamnés à reproduits les pratiques des villages, c’est-à-dire se battre pour survivre sans jamais pouvoir assurer l’avenir de leur congénères.

En Haïti, l’offre éducative de l’État est loin de satisfaire la demande de la population, d’autant plus qu’il exerce une discrimination dans le peu de service qu’il propose. Dans la répartition géographique des institutions scolaires publiques, le milieu rural est très mal desservi. Plus on s’approche des zones reculées, plus les écoles publiques se font rares. D’ailleurs dans certains endroits, l’école publique est totalement absente. Les écarts ville campagne sont encore plus visibles dans le domaine éducatif.

L’absence d’école dans les zones rurales oblige les villageois à scolariser leurs enfants dans les villes voisines, ce qui nécessite souvent un déplacement de plusieurs heures de marche à pied. Un parcours à la fois pénible et dangereux.

Pénible dans le sens, que l’école est des fois tellement éloignée que l’enfant est épuisé une fois rentré chez lui après environ quatre heures de marche.  Il est si fatigué qu’il ne peut réviser ses devoirs, d’autant plus qu’il fait déjà noir et qu’il n’a pas accès à l’électricité.

C’est également dangereux pour les enfants qui vivent dans les villages reculés de se déplacer aussi loin pour aller chercher de l’instruction, notamment pour les plus jeunes. En général, en Haïti  les villes sont séparées des villages par une rivière que l’on doit traverser à pied ou à dos d’âne. En période de pluie les grandes crues sont fréquentes. Les enfants de 6 – 12 ans sont principalement exposés au danger des rivières. Craignant pour leur sécurité, les parents préfèrent les garder chez eux tout en étant conscient des répercutions que cela va avoir sur leur avenir d’adulte.

Pour résumer la situation scolaire, il faut dire qu’elle reflète la réalité socio/économique du pays. Si l’on reconnaît dans un système fonctionnaliste, que le tout est irréductible à la somme de ses parties, le secteur éducatif haïtien étant un maillon de la chaîne, est aussi dysfonctionnel que les autres entités de l’État.

Conclusion

Cette petite réflexion que nous venons d’avoir sur le système éducation haïtien, nous emmène aux constats suivants : L’école n’est pas accessible à tous les enfants du pays, les enfants des milieux ruraux sont particulièrement touchés par le manque d’institution scolaire dans le pays. Dans les grandes villes si le problème est moindre en terme de place, c’est surtout le secteur privé (les écoles congréganistes, les écoles internationales, les écoles nationales privées) qui occupe le marché de l’instruction. Les frais de scolarité sont relativement chers, seuls les parents les mieux nantis peuvent se payer une place pour leur enfant. L’offre de l’État, en tant que garant de la scolarisation, reste très modeste.

La complexité des conditions de vie en Haïti, touche l’avenir des plus jeunes dans sa base fondamentale. Un pays qui ne peut faciliter la scolarisation de ses enfants est un pays sans avenir. Si l’on dit souvent que l’avenir d’un pays repose sur sa jeunesse, je dirais, seule une jeunesse éduquée pourra assumer la continuité des projets de développement de ses aînés et permettre la bonne gouvernance du pays qui à mon avis sont indispensables pour la survie des instituts.

Tenant compte de la réalité des choses, il nous semble que rien n’a été fait pour former les enfants paysans afin qu’ils puissent s’investir demain dans les affaires du pays. Le manque de moyen académique plonge le milieu rural dans un analphabétisme incomparable avec celui du milieu urbain. L’ignorance de la population sur des sujets élémentaires vient empirer leurs conditions de vie. Par exemple, le manque d’information sur la prévention entraîne un  taux de natalité toujours en constante augmentation. La plus grande proportion de la population est très jeune, souvent non scolarisée. Pour palier à cette situation difficile, les ONG (Organisation non gouvernementale) tentent tant bien que mal d’apporter leur contribution aux parents les plus démunis. Mais cette aide reste très limitée, vu l’immensité des besoins.

Les projets gouvernementaux risquent de durer longtemps avant de toucher les villages les plus éloignés, alors que les enfants sont en train de voir  passer la chance de se scolariser et d’aspirer à un avenir meilleur. Dans ce cas de figure, quelles sont les perspectives qui s’offrent à eux ? Les associations haïtiennes, de par leurs connaissances des besoins et de la réalité existentielle des parents, sont-elles mieux placées d’accompagner à la scolarisation des enfants des villages ? Comment faut- il intervenir dans ce secteur qu’est l’éducation ?

RÉFÉRENCES :

* FRANCOIS, Pierre Enocque (2004). Avoir 16 ans à l’école primaire : les surâgés dans le système éducatif haïtien. Paris : l’Harmattan.

* JOINT, Louis Auguste (2005). Système éducatif et inégalité scolaire en Haïti. Paris : l’Harmattan.

* Le Plan  National d’Education et de Formation (PNEF). Haïti

* Ministère de l’Education Nationale de la Jeunesse et des Sport –MENJS (1998).

[1] L’auteur a tiré ces informations des statistiques du Ministère de l’Education National. Des données qui sont souvent revues à la hausse quand il s’agit d’une étude indépendante. Par exemple, en 1997, les recherches de Norman Ballargeon nous ont appris qu’il y aurait 70 à 75% de la population haïtienne qui sont analphabètes. Tandis que le Ministère n’a chiffré ce nombre qu’à 66%.

[2] La constitution du 29 mars 1987, dans son article 32 – 3, prévoit  l’enseignement primaire obligatoire. Il revient à l’Etat haïtien de prendre en charge les besoins éducatifs des enfants (6-12 ans) sous peine de sanction à déterminer par la loi.

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Prof. Jean Emmanuel PIERRE 

Doctorant en Sciences de l’éducation | Université Paris VIII | France
Laboratoire de Recherche EXPERICE

Author

  • Jean Emmanuel Pierre

    Doctorant en Sciences de l’éducation | Socio-Anthropologue | Spécialiste en formation des adultes | Professeur d'universités | Mail: pjemmanuel77@yahoo.fr

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