Accueil GOUVERNANCE Le numérique en Haïti : entre l’homéostasie du système éducatif, le cadre de relèvement post-séisme du 14 août 2021 et la lutte contre la fracture numérique

Le numérique en Haïti : entre l’homéostasie du système éducatif, le cadre de relèvement post-séisme du 14 août 2021 et la lutte contre la fracture numérique

51 minutes de lecture

Ralphson Pierre fait parler Jacques Yvon Pierre

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  1. Ralphson Pierre : Vous parlez souvent d’homéostasie du système éducatif face au numérique. Voudriez-vous d’abord expliquer le concept d’homéostasie et indiquer ensuite en quoi il s’applique à l’intégration et l’utilisation du numérique dans le système d’éducation en Haïti ?

Jacques Yvon Pierre : Je comprends que vous me posez là deux questions. Tout d’abord, je dois faire l’économie de quelques éléments se rapportant à la genèse du concept pour ne pas me perdre dans des considérations trop globalisantes en rapport à la cybernétique. Je commencerai par dire que le concept d’homéostasie, venu de la biologie, s’est étendu à des disciplines associées aux sciences humaines et sociales dont l’éducation.

Définir quelque chose ou un phénomène est toujours difficile, à mon sens. Pour comprendre ce concept, il faut d’abord se mettre en tête que tous les organismes vivants ont besoin de réguler leur environnement interne. S’ils ne le font pas, ils n’arriveront pas à transformer l’énergie et survivre. Mais attention, tout système subit également des pressions externes. Comment trouver l’équilibre entre l’environnement interne et les pressions externes ? C’est cela l’homéostasie : la capacité d’un système à maintenir un état interne relativement stable, qui persiste malgré les changements extérieurs.

Comme je suis hypertendu, je peux prendre un exemple relatif à la tension artérielle. Je sais que c’est l’exemple auquel tout le monde recourt pour expliquer ce concept. Mais, peu importe, il convient à mon état de santé et je le trouve fascinant.  A un certain moment de la durée, ma tension artérielle avait connu une hausse extraordinaire, mon médecin traitant, paniqué, semblait ne pas comprendre comment et pourquoi mon organisme qui avait, certes, du mal à fonctionner pouvait se maintenir. Mais, la seule explication pour moi souffrant à l’époque, n’était pas à chercher trop loin. Elle se nomme l’homéostasie. C’est grâce à elle que mon organisme ait pu arriver à trouver un équilibre.

Cela dit, en quoi ou pourquoi on peut évoquer ce concept lorsqu’il est question de l’intégration et de l’utilisation du numérique dans le système d’éducation en Haïti ?

Comme j’essaie de le dire, il n’y a pas de système à ne pas posséder son mécanisme de régulation. Les adeptes de l’approche systémique donnent le nom de « rétroaction négative » à ce mécanisme par lequel le système s’arrange pour que ses actions le maintiennent dans ses normes, c’est-à-dire dans son mode de fonctionnement habituel.

Promouvoir la culture numérique en Haïti dans le système éducatif haïtien aujourd’hui semble être une pression de l’environnement externe pour changer le système. Celui-ci  oppose une force contraire en vue de préserver sa structure et son mode de fonctionnement normé. Les arguments selon lesquels l’intégration du numérique dans le système éducatif haïtien relève d’une quelconque volonté à renforcer les inégalités sociales en transformant celles-ci en inégalités scolaires ne sont ni plus ni moins qu’une variante du comportement homéostatique et ne visent, en bout de piste, qu’à  assurer le maintien du système dans un environnement stable. Autrement, ces arguments ne résistent à aucune analyse.

   2. Ralphson Pierre : Vous voyez le numérique comme étant un processus de régulation du système éducatif, en se référant à l’homéostasie ; mais concrètement par où doit-on commencer ?

Jacques Yvon Pierre : C’est comme une manière de me redire gentiment ce que Marx proclamait: « Les philosophes nont fait quinterpréter le monde ; il faut désormais le transformer »  (rire). Vous avez probablement raison. Mais, je ne suis pas en train de dire que l’homéostasie est une bonne chose pour un système. Au contraire. L’idée est dexpliquer que tout système résiste au changement et se donne des moyens pour résister au changement. Et c’est bien ça, grosso modo, l’homéostasie : la capacité d’un système (physiologique, psychologique, social …) à conserver l’équilibre de son milieu intérieur, c’est-à-dire son équilibre de fonctionnement) en dépit des contraintes externes. L’idée aussi, est de mettre en garde les acteurs qui cherchent l’innovation à comprendre qu’aucun système ne se laisse pas facilement changer. Ce refus de changement, c’est la grande capacité de tout système. Rompre avec le système, c’est d’abord prendre en compte cette capacité de rétroaction négative qu’il a. Cette capacité du système a été décrite par le médecin et physiologiste français Claude Bernard en 1878 et le terme. Mais le terme a été introduit en biologie par le physiologiste américain Walter Bradford Cannon en 1939. Je me pose souvent la question : pourquoi le concept complémentaire à l’homéostasie (qui est l’allostasie) n’est pas autant connu. L‘allostasie permet aux points d’équilibre de fluctuer selon les demandes de l’environnement.

 3. Ralphson Pierre : Pourquoi, selon vous, Haïti a tant de mal à faire du numérique un levier de développement ; en particulier dans le domaine de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique ?  

Jacques Yvon Pierre : On ne conteste pas l’évidence. Elle est là, omniprésente dans notre quotidien. Il y a une croissance rapide des TIC et celle-ci transforme, dans les moindres détails, nos modes de pensée, de comportement, de communication et de travail. Tout le monde se sert des TIC et ce, au quotidien. Ils ne sont plus ou pas réservés aux universités, aux instituts de recherche ou aux chercheurs. Oui, ils s’en servent pour faire progresser et améliorer la qualité et la quantité de leurs recherches.

Oui, lutter contre la fraction numérique est un combat inscrit dans le sens. Mais, justement, c’est au nom de ce combat qu’il faut amener plus de gens à s’impliquer davantage dans le numérique et non à en rester en marge. L’université, dans le rôle avant-gardiste que lui confère la société, a pour devoir d’organiser des débats autour des enjeux du numérique pour le développement humain et durable et nous montrer l’impact des TIC sur les méthodes de recherche, lanalyse des données, la qualité et la quantité des recherches.

Pour ma part, je crois dur comme fer que le numérique est capable de faire sortir le système éducatif haïtien des sentiers battus et l’amener dans l’appropriation de l’interdisciplinarité dont elle a tant besoin. Je ne me rappelle plus où est ce que j’ai lu que « grâce à
la discipline émergente appelée biotique ” une combinaison de la biologie et de l’informatique”, l’humain entrera en symbiose avec les réseaux d’information qu’il a extériorisés de son propre corps. Donc, à la fois objet et sujet de la révolution biologique, l’humain paraît avoir  entre ses mains l’avenir de l’espèce humaine. Donc, pourquoi m’y opposer? C’est fou d’entendre des universitaires haïtiens qui citent à tout bout de champ le livre  de Michel Crozier et d’Erhard Friedberg « l’acteur et le système » s’en prendre aux TIC, à la formation à distance sous prétexte que cela va contribuer à renforcer les inégalités davantage au niveau du système scolaire haïtien. Ils ne savent peut-être pas que Joël de Rosnay s’intéresse depuis de nombreuses années aux technologies avancées. Et qu’il a passé une partie de sa carrière aux États-Unis, où il fut chercheur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans les domaines de la biologie et de l’informatique. Sinon, ils se seraient mis à chercher des stratégies alternatives  pour contribuer à amener les défavorisés à forcer et défoncer les barrières à la vulgarisation des TIC au lieu de s’y opposer.  Pendant qu’ailleurs on est dans lhybridation du numérique/de linformatique et des sciences humaines et sociales au point que lexpression « humanités numériques  tend à devenir un lieu commun et non un oxymore (réunissant deux domaines séparés  sur le plan des valeurs), nous perdons du temps dans des considérations qui nous écartent de la pensée scientifique. Cela dit, tout ceci ne signifie pas que j’invite les  chercheurs à adopter une posture de neutralité  dans  leur travail de recherche. Non. Je crois que toute science, « dure » ou « molle», est prise dans des enjeux non proprement scientifiques rendant la neutralité du chercheur impossible.  Par contre, je suis aussi de ceux et celles qui pensent que le numérique invite le chercheur à développer de nouvelles réflexions quant à son engagement sur des terrains scientifiques.
  1. Ralphson Pierre : Connaissez-vous une expérience réussie dans le domaine numérique éducatif portée par les structures d’Etat ?

Jacques Yvon Pierre : Je citerais sans hésiter l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM).Avec fierté, je rappelle toujours pour faire grincer les dents de certains jaloux que j’étais très impliqué dans ce dispositif de formation, en partie à distance et  qui mettait à contribution les technologies de linformation et de la communication. Et quand j’ai laissé le Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP), ce programme n’a pas survécu. La politique et le clientélisme l’ont emporté. La phase d’expérimentation dIFADEM de ce dispositif de formation des enseignants en français, langue seconde, avait été lancé en Haïti début 2009.  Cette phase d’expérimentation de linitiative avait fait l’objet d’une évaluation au 1er semestre 2013 dont le rapport final est en ligne.

IFADEM est actuellement un des programmes du nouvel Institut de la Francophonie pour lEducation et la Formation (IFEF). Il semble que l’objectif de ce dispositif a évolué depuis un certain temps. Il serait question  maintenant daméliorer des méthodes denseignements pratiquées dans les pays francophones et professionnaliser les formateurs locaux.

Malheureusement, ce programme a été torpillé par l’amateurisme des acteurs du MENFP, la mauvaise foi et l’incapacité des uns et des autres.  Co-financé par l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dans sa première phase, IFADEM-Haïti était inscrit dans  une démarche qui reposait sur le principe de la co-construction. La famille ifadémienne, on y parlait. On y croyait.

 

5. Ralphson Pierre :Et malgré cela… ?

Jacques Yvon Pierre : Malgré cela. Les résultats du dispositif IFADEM-Haïti que j’ai coordonné sont là : les cinq livrets pour la formation d’enseignants en français langue seconde sont là. Les livrets en rapport au renforcement linguistique (le livret 1 portant sur lacompréhension écrite ; le livret 2 sur la compréhension orale, le livret 3 sur l’expression écrite) ainsi que deux autres livrets en rapport au renforcement didactique (Compréhension et production écrite, Didactique de la compréhension et de l’expression orales) sont là. Qu’en est-il des autres programmes de formation pour lesquels des dépenses importantes ont été réalisées ?

L’IFADEM que j’ai coordonné, ce sont des enseignants, des encadreurs, des tuteurs et des cadres du MENFP qui ont été formés aux Technologie de l’Information et de la Communication Appliquée à l’Education (TICE) et à l’enseignement du Français (langue seconde), mais c’est aussi des espaces et des points numériques qui ont été installés dans six départements et dotés, par ailleurs, d’ouvrages pédagogiques. Puis est arrivé un Représentant de l’Association pour la promotion de l’éducation et de la formation à l’étranger (APEFE). Et le reste.  Tout ce qui avait été préalablement construit allait être  balayé d’un revers de main. Mais, pour reprendre la formule du professeur Lesly Manigat, je dirais que l’IFADEM n’a pas échoué en Haïti, elle a failli réussir.

 

6. Ralphson Pierre :  Est-ce qu’il ne faut pas voir dans cette résistance l’expression d’une certaine homéostasie du système éducatif ? 

Jacques Yvon Pierre : Certainement ! Ni plus ni moins que la volonté du système à maintenir la stabilité et l’équilibre du milieu intérieur dans des valeurs moyennes de référence qui ont expliqué ces réactions.

Comment expliquer le tollé contre la mise à disposition de ressources pédagogiques à l’adresse d’apprenants et d’enseignants lors de la crise sanitaire de COVID-19 ? Et le comble, des gens, supposément porteurs d’un discours savant, se sont mêlés de la partie pour s’opposer à l’utilisation des technologies éducatives en prétextant que cela va renforcer l’apartheid scolaire : le  premier problème de cohérence de ce discours vient du fait que  c’est en recourant aux outils numériques que ces gens demandent, en bout de piste, de ne pas permettre aux autres d’y avoir accès pour ne pas encourager la fracture numérique alors quil n`y a aucun exemple dans l’histoire de l’humanité où l`accès au développement des forces productives a été pareil pour tout le monde en même temps.

 

7. Ralphson Pierre : Mais, en même temps, c’est vous qui dénoncez à maintes reprises la transformation des inégalités sociales en inégalités scolaires.

Jacques Yvon Pierre : Quel que soit l’angle sur lequel on analyse Haïti et à une échelle plus réduite, son système éducatif – les disparités sont criantes: déjà les disparités entre zones rurales et urbaines engendrent de profondes fractures dans l’accès à l’éducation. Les inégalités entre  les sexes sont reproduites à l’école. On est ce pays qui codifie toutes les formes d’inégalités sociales et là, il y a un sérieux combat à mener.

Mais attention, tout est dans les nuances. On reconnaît aujourd`hui le dynamisme et la créativité des sociétés africaines dans le domaine du e-learning. En l’absence de réseaux performants, les équipements numériques ont aidé à atténuer les disparités. La télévision et la radio scolaires accordent  une large place au synchrone à très grande échelle. Les équipements numériques ont permis de développer des usages des TICE dans une dimension collaborative, et jusqu’à des approches d’individualisation. Pourquoi ne pas favoriser cette symbiose avec des équipements informatiques, des réseaux courte distance, radio, télévision, mobiles, etc? Tout ceci favoriserait l’émergence d’approches hybrides et n’empêcherait nullement qu’on fasse parallèlement pression sur les autorités politiques pour la définition et la mise en œuvre d’une politique du numérique axée sur la discrimination positive inversée favorable aux plus faibles. Mais, comme j’ai envie de rester optimiste, je tends à regarder l’homéostasie avec les lunettes d’Edgar Morin qui considère que la vie d’un système implique un double mouvement :

  • un mouvement de corruption et de désorganisation ;
  • un mouvement de fabrication et de réorganisation.

Edgar Morin soutient qu’il faut considérer l’homéostasie comme « la conjonction des processus par lesquels un système résiste au courant général de corruption et de dégénérescence. Contrairement à notre manière de voir l’homéostasie, Edgar Morin va jusqu’à soutenir  que celle-ci désigne donc l’ensemble des rétroactions correctrices et régulatrices par lequel la dégradation déclenche la production et la réorganisation.

 

8. Ralphson Pierre:  Au moment où justement le Grand Sud du pays connaît une situation énormément compliquée résultant du séisme du 14 août 2021, quelle place pourrait avoir le numérique dans un cadre de relèvement post-catastrophe ?

Jacques Yvon Pierre : Effectivement. La question de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour protéger les citoyens contre les catastrophes naturelles est bien connue. Sur de nombreux sites internet, on rapporte les exemples du Mozambique en 2000 et du Madagascar en 2012 face au cyclone « Giovanna », suivi de la tempête tropicale « Irina ».

Des spécialistes en TIC ont brillamment expliqué comment les TIC ont permis à des populations pauvres de faire face à des catastrophes naturelles sans compter que les systèmes d’information géographique (SIG) ont la capacité d’aider les gouvernements locaux dans ces domaines-là.

La Banque mondiale développe dans ces pays des projets permettant d’adapter les TIC à la cartographie géospatiale voire à des technologies plus courantes comme le système d’alerte par SMS. Tout cela pour confirmer que les TIC ont un rôle à jouer dans la Gestion des risques et catastrophes en Haïti. Il ne fait aucun doute que les TIC peuvent être mis à contribution dans le cas de définition des stratégies visant à réduire l’incertitude face aux risques naturels. Non seulement, elles peuvent être utilisées, comme nous venons de l’expliquer, tout simplement, dans la diffusion de l’information pour paramétrer les alertes, établir des diagnostics et enregistrer les traces des activités mais aussi dans la gestion de la crise et dans la communication. Il apparaît alors que la sécurisation des infrastructures de communication, la réactivité et la publicité des technologies favorisent leurs accès.

Savez-vous qu’en 2014, plus de 1 500 développeurs de logiciels et de matériel informatique ont pris part à des marathons de codage organisés dans huit pays dont Haïti ?  Les autres pays ayant pris part à cette initiative ont été : Bangladesh, Inde, Indonésie, Japon, Pakistan, Philippines et Viet Nam. Qu’est-ce qui a été fait après ? Je n’en sais rien.

 

9. Ralphson Pierre : Et là encore se pose la nécessité pour le monde de l’éducation en Haïti de changer son regard sur les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). La fracture numérique est là et il faut lutter contre. Mais, ce n’est pas en s’opposant au TIC qu’on va pouvoir mener ce combat.

Jacques Yvon Pierre : Il faut sortir, à mon sens, des idées toutes faites pour pouvoir lutter contre la fracture numérique. On ne lutte pas contre la fracture numérique en rejetant, d’entrée de jeu, tout programme qui fait usage des TIC. C’est justement le contraire qui aide : il faut partir du constat que la technologie améliore l’existence des personnes marginalisées et lutter pour qu’elles y accèdent. Heureusement que la population haïtienne des zones reculées s’empare progressivement des TIC pour sortir de leur exclusion et fait ainsi mentir les analyses des gens qui sont prisonniers de certaines manières de voir.

Nous sommes dans un pays avec un nombre élevé d’opérateurs intervenant dans le domaine des TIC; ce qui n’a pas beaucoup favorisé la libéralisation du secteur. Il est clair que la diffusion des autres technologies numériques comme l’Internet, ne peut pas connaître un essor  remarquable. Et bien des variables extrascolaires expliquent cet état de fait : le problème de l’électrification,  la cherté du matériel informatique, l’analphabétisme, et surtout l’absence d’applications répondant aux problèmes quotidiens des pauvres. Mais, il n’y a pas de doute que le secteur de la téléphonie mobile progresse très bien dans le pays. Il ne fait pas de doute que l’accès aux TIC implique l’existence d’un certain nombre d’infrastructures. Penser aux TIC, c’est aussi penser à des réseaux électriques fonctionnels et de bonne qualité et des infrastructures en TIC.  Nul besoin de réaliser des études sophistiquées pour montrer que l’utilisation des TIC est fortement corrélée à un ensemble de facteurs dont certains sont  économiques le revenu des individus en est un.

 

10. Ralphson Pierre : L’Objectif de développement durable 4 (ODD4) qui tourne autour de l’idée d’ « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité » accorde de  l’intérêt au numérique…?

Jacques Yvon Pierre: Comme éducateur, j’accorde une attention spéciale à l’Équipe spéciale internationale sur les enseignants pour Éducation 2030, aussi appelée Équipe spéciale sur les enseignants (TTF). De ce que j’ai lu à propos de cette structure, je relève d’abord que cette structure se consacre exclusivement aux enseignants et aux questions relatives à la profession enseignante. En second lieu, elle est chargée de mener des activités de plaidoyer, d’élargir les connaissances et de soutenir les pays sur les questions et les thématiques abordées dans la  cible 4.c de l’ODD4. Sans vouloir rentrer dans les détails, nous savons que l’objectif de développement durable ou l’ODD4 fait partie des 17 Objectifs de développement durable (ODD). Ces objectifs  sont « intégrés et indissociables qui concilient les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale». J’aime répéter que l’ODD4 n’est pas seulement un engagement intergouvernemental. C’est un « plan d’action pour l’humanité, la planète et la prospérité » à l’horizon de 2030.

Revenons à l’Équipe spéciale internationale sur les enseignants pour Éducation 2030 pour faire remarquer qu’elle a créé plusieurs groupes thématiques dont deux m’intéressent énormément : le premier est le groupe thématique dénommé « Technologies de l’information et de la communication (TIC) et enseignement à distance pour le développement professionnel des enseignants », le deuxième est le groupe « Gestion des enseignants dans les situations de crise et d’urgence ».

Le groupe chargé de travailler sur les TIC cherche à « aider les enseignants à acquérir des compétences en matière de TIC pour soutenir l’utilisation de TIC dans la salle de classe afin d’améliorer la qualité et l’offre de l’enseignement ; et, dans le cadre de l’utilisation de programmes d’enseignement à distance, pour renforcer le perfectionnement professionnel avant la prise de fonctions, dans le cadre des fonctions ou continu.  »L’autre groupe travaille sur «des questions relatives à la mobilisation des ressources, à la formation et au soutien du personnel enseignant en situation de crise et d’urgence, par exemple, dans des contextes de guerre, de migration, de catastrophes naturelles et d’autres types de catastrophes ». Ce sont ces choses-là qui sont inspirantes pour moi. Quel lien à créer entre la gestion des crises de toutes sortes auxquelles le système éducatif fait face et le numérique ? Il est important de contribuer à ce que des compétences les plus basiques en numériques soient installées à tous les niveaux du système. Il faut vivre comme une plaie géante d’avoir des enseignants qui ne savent pas copier ou déplacer un fichier ou un dossier ; utiliser des outils de copier-coller pour dupliquer ou déplacer des informations dans un document ; envoyer des courriels avec des fichiers joints (par exemple, document, photo, vidéo) ; utiliser des formules arithmétiques de base dans un tableur ; connecter et installer de nouveaux périphériques (modem, appareil photo, imprimante, etc.) ; rechercher, télécharger, installer et configurer des logiciels; créer des présentations électroniques avec un logiciel de présentation (incluant du texte, des images, du son, de la vidéo ou des graphiques), transférer des fichiers entre un ordinateur et d’autres périphérique ; écrire un programme informatique en utilisant un langage de programmation spécialisé…

Nous n’avons pas su saisir les opportunités que le séisme de 2010 nous avait offertes. Il ne faut pas, à mon sens, reproduire cette erreur. Le séisme du 14 août 2021 doit nous amener à revoir bien de choses et l’une d’entre elles est d’explorer le « que faire » pour permettre aux TIC de nous aider dans la lutte contre l’exclusion. Il a été démontré que les TIC peuvent jouer  un rôle indirect dans la promotion d’une croissance économique, dans l’amélioration de la qualité de vie. Elles ont permis à des pauvres en Afrique d’accéder aux marchés, de demander des services, de recevoir une éducation et d’acquérir de nouvelles compétences.

 

11. Ralphson Pierre:Un dernier mot ?

Jacques Yvon Pierre: Mais autre que les problèmes évoqués préalablement, quand je pense à des grandes gueules du MENFP et d’ailleurs qui continuent à se prononcer maladroitement contre la formation à distance à partir de paralogismes qui font pitié, me vient en tête ce mot savant (qui sert à désigner l’art de parler de ce que l’on ne sait pas) : l’ultracrépidarianisme.

Or, il s’agit  tout simplement d’un comportement homéostatique spontané pour assurer le maintien du système dans un environnement stable. C’est tout ce qui explique ce refus qui, pour se donner bonne conscience, cherche des arguments séduisants de lutte contre les inégalités.  Des résistances pour privilégier le respect de la norme et de l’habitude par rapport à celui d’un nouvel objectif.

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Propos recueillis par Ralphson Pierre pour la Revue Parenthèses Éducatives,

en collaboration avec le média en ligne Omniscient Info.

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Interviewé: Jacques Yvon PIERRE

Professeur d’Universités, Expert en Education, Directeur Général du Cabinet AGIR-H

 

Author

  • Ralphson Pierre

    Directeur et Fondateur de OmniScient Info | Psychopédagogue | Technopédagogue | Doctorant en Technologie Educative | Spécialiste des TICE et de l'Education Inclusive/Spéciale (autisme)

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