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Éducation : former de meilleurs êtres humains pour une société juste et solidaire.

21 minutes de lecture

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Par : Dr. Érold Joseph
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« Vous ne vivez pas dans le monde, mais dans votre monde. Vous ne voyez pas la situation telle qu’elle est, vous voyez celle que projette votre mental »  Swami Prajnanpad

Dans son ouvrage sur le philosophe Chinois Confucius, Yu Dan rapporte l’histoire suivante :Un réformateur religieux passait près d’un chantier de construction. Il y vit une foule d’hommes en sueur transportant des briques sous un soleil de plomb.

Curieux, il interrogea un des travailleurs : « Que faites-vous là ? ».

L’autre, maussade, lui répondit avec hargne :

-Vous le voyez bien. Je transporte des briques. Et c’est une tâche extrêmement dure.

Avisant un deuxième travailleur, il lui posa la même question. L’autre plus calme, rangea soigneusement ses briques sur le sol et dit : « je construis un mur. »

A un troisième ouvrier, il fit la même interrogation. Ce dernier était jovial. Il s’épongea le front, déposa ses briques, releva fièrement la tête avant de déclarer : « Nous construisons une cathédrale ».

Les trois hommes effectuaient exactement le même travail et dans les mêmes conditions. Pourtant, leurs émotions étaient différentes ainsi que leur bonheur. Si le premier était maussade, voire au bord de la colère, les deux autres affichaient de la joie, quoiqu’à un degré différent.   Quelles sont les implications d’un tel constat ?

Importance de la dimension psychologique

La première conclusion à tirer, c’est que dans la vie, la réalité extérieure, perçue par les cinq sens, est toujours appréciée préalablement par le cerveau, plus précisément par le mental. Cette réalité est alors interprétée comme bonne ou mauvaise, ce qui donne naissance à des émotions, des sentiments et des pensées. Certaines émotions, comme l’anxiété, le stress, la colère, la haine, le ressentiment, la jalousie, provoquent le mal-être et nous portent souvent à des actes répréhensibles pour notre entourage, notre environnement. Elles sont étiquetées négatives ou afflictives et doivent donc être évitées et contrôlées. D’autres, au contraire, comme la joie, le plaisir, l’amour, la compassion, sont considérées positives, pour nous et la société. Toutefois, une émotion positive, tel le plaisir, peut aussi nous conduire au malheur lorsque sa quête devient obsessive et compulsive.

Par ailleurs, les émotions et les sentiments ont tendance, la plupart du temps, à prendre totalement notre contrôle, à générer de mauvaises pensées et à nous pousser à des comportements et actions souvent regrettables. Par ailleurs, ils entrainent généralement une interprétation erronée de la réalité et nous « possèdent », souvent au sens littéral du terme. En fait, c’est à travers le prisme déformant du mental que nous percevons chacun, une réalité, notre réalité spécifique, d’où nos actions, souvent inadéquates. Le physicien et psychothérapeute Prajnanpad disait : « Je ne suis pas mon propre maitre ; à travers des états d’âme sur lesquels je ne peux rien, je suis esclave ». Acquérir la liberté intérieure est donc encore plus difficile qu’acquérir la liberté extérieure.

Par ailleurs, le mental interagit constamment avec le physique, produisant des dysfonctionnements, voire des pathologies dans les deux sphères. L’éducation émotionnelle devrait constituer donc un élément fondamental de la santé et surtout, de l’éducation. Elle débuterait à un âge précoce, dans la famille, et particulièrement à l’école, pour se poursuivre à l’université et tout au long de la vie. Elle s’avère d’autant plus importante que notre contrôle du milieu extérieur est limité. L’enfant devrait apprendre à développer « l’intelligence émotionnelle », au sens où l’entend Daniel Goleman. Cette dernière a peu de rapport avec le quotient intellectuel et le niveau académique. On peut être savant, mais pauvre en intelligence émotionnelle, et vice-versa.  La « méditation dite de la pleine conscience ou de la pleine présence » empruntée aux philosophies et spiritualités orientales, notamment le bouddhisme, constitue un entrainement efficace à l’attention et à la vigilance intérieure. Introduite en Occident et étudiée dans les années 70 par Francisco Varela, Jon Kabat-Zinn, Paul Ekman, le Dalai Lama et Mattieu Ricard, elle continue de faire l’objet de recherches approfondies grâce à l’imagerie et la biochimie cérébrales. Plusieurs expériences prometteuses de méditation et d’apprentissage de la philosophie avec des enfants en milieu scolaire se déroulent actuellement tant en Amérique qu’en Europe.

Importance de la dimension spirituelle ou philosophique

Selon Pierre Hadot, l’un des plus grands historiens de la philosophie antique, cette dernière se confondait, depuis Socrate et Platon, avec la spiritualité. Elle s’apparentait à une « manière de vivre », avec sagesse, équanimité et entrainant un certain bonheur. Ceci était la résultante d’une profonde compréhension de l’existence. Le terme « philosophe » est d’ailleurs issu de deux mots grecs : phylos (ami) et Sophia (sagesse). Initialement, la philosophie occidentale, née en Grèce, est donc « amour de la sagesse ». Elle a évolué ultérieurement pour se transformer en une histoire des idées et des concepts philosophiques, se détachant ainsi, de la pratique, de la conduite de vie. Ce parcours se différencie de celui du bouddhisme, né en Orient, plus précisément en Inde, qui s’est toujours défini, non comme une religion, mais une science de l’esprit et une philosophie de vie.

Si l’histoire des trois ouvriers éclaire le rôle fondamental du volet psychologique dans la vie de l’Homme, dans son bien-être, elle met également en relief la dimension spirituelle ou philosophique de l’existence. En effet, ces travailleurs évoluant dans des conditions de travail identiques, affichaient pourtant un degré différent de bonheur. Le premier était très malheureux, car pour lui, son boulot était dépourvu de finalité. Il ne faisait que transporter des briques sous un soleil de plomb : une véritable corvée. Les deux autres extériorisaient, en dépit des conditions pénibles, une joie proportionnelle au sens qu’ils attribuaient à leur labeur. Celui qui réalisait qu’il participait à la construction d’une cathédrale était beaucoup plus heureux que l’autre dont la vision s’arrêtait à l’érection d’un mur. Il en va de même du bonheur dans la vie en général. Plus votre vie a du sens, ou plutôt, plus vous lui donnez un sens, une finalité, allant au-delà d’une perspective limitée, individuelle, strictement familiale, plus elle engendre de la joie. L’égoïsme rend malheureux, l’altruisme apporte la béatitude. C’est ce que confirme aujourd’hui la science matérialiste qui s’intéresse depuis quelque temps à ce qu’elle dénomme désormais « bien-être subjectif ». Les déterminants de ce bien-être ont été ainsi classés en trois catégories : la génétique qui contribuerait à 50% dans l’aptitude au bonheur, les conditions matérielles à 10%, et l’effort personnel à 40%.  Ces chiffres signifient que la capacité à une « joie de base » d’un certain niveau serait prédéterminée pour une bonne moitié. Ensuite, être heureux dans la vie serait essentiellement une question de choix individuel, de compréhension de l’existence et de discipline personnelle. Les moyens et conditions matériels n’occuperaient donc qu’une place réduite. Ces études, sans creuser au plus profond, ne font que confirmer ce que soutiennent les sages de tous les temps. En effet, tout le monde connait des gens pauvres qui respirent la joie de vivre, alors que des personnes riches et puissantes vivent continuellement dans l’angoisse et le désarroi.

Si le bonheur et la maitrise émotionnelle jouent un rôle aussi prépondérant dans la qualité de vie, tant à l’échelle individuelle que sociale, comment expliquer leur évacuation dans l’éducation que nous donnons à nos enfants? Pourquoi cette dernière se focalise-t-elle uniquement sur le savoir académique des apprenants, persistant à faire abstraction du côté éthique et philosophique qui permettrait d’avoir de meilleurs êtres humains ainsi qu’une société plus juste et plus fraternelle?  Et pourtant des modèles de ce type existent depuis le début du XXème. Citons les écoles Steiner-Waldorf et les écoles Krishnamurti. Plus récemment, des initiatives visant la pratique de la méditation et des débats philosophiques avec les enfants du préscolaire et du primaire sont en cours, tant en Amérique qu’en Europe avec Matthew Lipman, Michel Sasseville, Agnès Pautard, Michel Tozzi et Frédéric Lenoir à travers sa Fondation SEVE (Savoir Être et Vivre Ensemble).

La pandémie de coronavirus nous offre une opportunité inouïe de changer…

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Dr. Erold Joseph, Médecin-Pneumologue

Directeur de la Direction de Santé Scolaire (DSS)

Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP).

Courriel : eroldjoseph2002@yahoo.fr

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Crédit Photo:  Pixabay

 

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