Par : Florince Fragile
Chères collègues enseignantes,
Chers collègues enseignants,
C’est avec un sentiment de honte que je vous écris aujourd’hui dans le but de vous informer que le vent a tourné le sens de ma belle page d’histoire d’enseignant d’Haïti. J’ai toujours voulu faire carrière dans ce noble et valeureux métier afin de voir défiler devant moi mes différentes promotions d’apprenants.
J’ai toujours envie de me voir entre les quatre murs, accompagner des élèves dans mon rôle de professeur, à dispenser mes cours. Ça toujours été un plaisir pour moi d’accompagner et de partager avec d’autres collègues enseignants nos soucis en lien avec le métier.
Former de nouvelles générations d’hommes et de femmes de caractère était mon unique but.
Je brulais l’envie de travailler des heures et des heures afin de préparer les élèves qui vont subir les examens officiels. J’étais toujours là comme un bon défenseur du système éducatif, en essayant à maintes fois de raisonner mes collègues enseignants, à prendre sur eux-mêmes afin de sauver l’année scolaire au profit des élèves …
Brusquement, tout a changé.
Je vous écris depuis les États-Unis d’Amérique.
Plus besoin de vous dire que je ne suis plus avec vous en train de faire des pèlerinages dans différents établissements scolaires pour un salaire de pitance, surnommée également ”Salaire de tuberculose”.
Regret ou satisfaction ?
Le programme humanitaire de l’administration du président américain Biden m’a fait danser les écus. Je ne pouvais plus résister à cette tentation. J’ai succombé. J’ai cherché des sponsors qui ont accepté d’appliquer (programme Biden) pour moi. En ce moment, je suis sur le sol américain. J’ai changé de métier. Je suis loin des lycéens et collégiens de mon pays. Pas de sac à dos ni de livres abîmés sous les bras, voire des morceaux de craie salissant mes vêtements. J’ai oublié les belles expressions françaises. Je mets à l’écart tout ce que j’avais appris pour cette nouvelle vie au pays de l’oncle Sam.
Mes diplômes ne sont que de vils papiers. Ici, je n’ai aucune notoriété. Ma vie ne fait que recommencer. ni complexité, ni d’orgueil. Ici, je ne travaille pas comme enseignant, mais comme celui au CV nul. Je suis Manutentionnaire.
Excusez-moi de vous avoir mis au courant aussi tardivement. Ce n’est pas de la mauvaise foi, mais je ne voulais pas vous décourager. Car, il faut qu’il ait toujours des résignés dans ce noble métier dont le traitement des salaires et les conditions d’exercice laissent à désirer en Haïti.
Dîtes à mes élèves que je ne suis plus leur professeur.
Je les ai laissés en plein milieu d’année scolaire. Je n’avais pas le choix. Tout laisse à penser que je m’en fous de leur préparation aux examens officiels. Mais c’est faux. Je n’avais pas d’autres choix que de sauver ma peau.
À l’État haïtien de décider s’il va rendre meilleur la vie des enseignants en Haïti, en leur donnant un salaire digne et des avantages sociaux leur permettant de répondre aux besoins essentiels.
À l’État haïtien de réfléchir au mieux-être de ses éducateurs.
À l’État haïtien de décider de l’avenir de l’éducation, et même de l’avenir de la nation car dit-on,
tant vaut l’éducation, tant vaut la nation !
Quant à moi, je me lave les mains. Quoiqu’il advienne, je ne fais pas marche arrière. Tout n’est pas rose là où je suis, mais j’aspire à une vie meilleure. C’est mon unique leitmotiv. L’espoir.
C’est triste, mais c’est un fait certain; après tant d’années dans ce système d’éducation, je n’arrivais même pas à payer mon loyer pour loger ma famille, voire construire une maison. Pour aller dispenser les cours, je ne faisais que de l’auto-stop. Drôle de coïncidence, à moto ou en voiture, mes élèves me déposaient sur mon lieu de travail (école). Je me suis rendu compte que je les ai montrés le chemin de la réussite alors que moi, je me suis perdu en cours de chemin. C’est paradoxal.
Après plus de quarante ans dans l’enseignement, je n’étais jamais qualifié pour obtenir un visa de tourisme pour visiter ou passer des vacances à l’étranger. C’est finalement grâce à un programme humanitaire que j’ai pu bénéficier de cette possibilité avec toutes les obligations et contraintes que cela exige.
En tout cas, ici, j’ai toutes les possibilités d’effectuer de bonnes recherches afin de mieux préparer mes différentes leçons à dispenser si j’étais enseignant, pourtant je ne le suis plus. Je travaille dans un domaine qui est nettement opposé à ma profession de base. C’est ma nouvelle vie. Je n’y peux rien, dit-on.
Cependant, j’ai de bons souvenirs des longues années d’expériences auprès de vous, élèves et collègues. Les conditions enseignantes m’ont poussé à vous tourner le dos, mais sachez que je suis un immigré par l’acte, mais dans mon cœur et dans mes pensées, je suis enseignant… et je le resterai…, je pense.
Du courage mes frères et sœurs, enseignantes et enseignants d’Haïti…
C’est donc, à ce moment même que je me suis réveillé en sursautant, et là, je me suis rendu compte que j’étais dans un rêve… Je suis bel et bien en Haïti, bien présent au sein d’une salle de classe en train d’exercer le métier de mes rêves.
Florince Fragile
Enseignant haïtien.
Tél.- +509 3287 7127
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