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Capital culturel, marché de l’emploi et classes moyennes : l’école haïtienne, un miroir aux alouettes.

12 minutes de lecture

Par : Feland JEAN  

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I- Jalons théoriques

Il   y  a  un  lien  de manière  récurrente entre  les classes  moyennes  et  l’éducation  suivant  une  dynamique  qui  s’alimente  réciproquement.  En Argentine, depuis  la  fin du XIX  ème  siècle  le développement  de l’enseignement  secondaire   et  supérieur  a  favorisé  l’émergence  de  celles-ci. En  revanche, dans les années 1970 on  assistait  à  une  déstructuration  et  une  polarisation  des  classes moyennes  à  partir  d’une  désorganisation  de l’école[1].

L’institution  scolaire  joue  un rôle de  relais  entre  les différentes  classes sociales. En  effet, à  part  ses  fonctions éducatives  et de socialisation, elle  répartit  aussi  les  individus  dans  les positions sociales, par conséquent, l’école  produit la société. Le système scolaire  pourrait  être  un  puissant  vecteur  de  mobilité  sociale  dans  une société donnée, mis à  part  la reproduction des héritiers  à travers  les  grandes  écoles  nommément  la noblesse d’Etat.

Toutes choses étant égales par ailleurs, l’institution scolaire  peut  contribuer  grandement  à  la  constitution  des  classes  moyennes  en  transmettant  une  compétence  culturelle  aux  individus  scolarisés  et  diplômés  issus  des  classes  populaires ; la  compétence  culturelle  étant  convertible  en  « capital » à  travers  un  système  économique  situé  dans  un  espace  social  structurel  et  fonctionnel. Qu’en est-il de la  relation  mutivariée  entre  capital  culturel, marché  de  l’emploi  et  classes moyennes en Haïti ?

II- école, marché de l’emploi et classes moyennes en Haïti

La relation  di-chotomique  entre  le  système  économique  et  le  système  scolaire  est  une  faiblesse  structurelle  dans  la constitution des classes moyennes en Haïti : de prime abord,  l’école  haïtienne  dans  sa  philosophie  éducative, sa structure  et  ses  mécanismes  de   fonctionnement  ne  peut  produire  un capital  humain  compétitif  et viable, maquette  identificatrice  et  justificatrice  des           « classes moyennes », ainsi  elles sont viciées à  la base. Ensuite, cette  situation  est  couplée  par  une  rupture  entre  le marché  de  l’emploi  ou  financier  et  l’instruction  scolaire  qui  ne  fonctionnent   pas  de  manière  congruente  et selon  les  logiques  méritocratiques.

 

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On  peut  assez  être bien dans le système scolaire et être coupé du milieu du travail, c’est-à-dire  ne  pas  être assez  bien  pour  réussir  à  trouver  un  emploi  par  les  titres scolaires en  Haïti.  L’eldorado (l’école)  des classes moyennes  est en  perpétuelle crise ; de même il a fallu  que les enfants  des classes populaires puissent   passer   par   l’école  pour  se  rendre  compte  du  désenchantement  que recèle  le  système  scolaire  haïtien  face à  leurs aspirations socio-économiques.

Par  conséquent,  l’école  haïtienne  fonctionne   comme  un  miroir  aux  alouettes : dans  le  vif   du  discours, elle  est  construite  comme  une  idole  théâtrale  dans  laquelle  les  acteurs  impliqués (élèves, étudiants)  devront  être  les  élus du système  économique, social  et  politique  en vigueur.

En revanche, dans le laboratoire quotidien, la compétence culturelle qu’elle émet est déficitaire, déconnectée du  réel  et du marché  de  l’emploi  haïtiens. Cette situation est l’une des causes de  la  difficile  construction  d’une « nouvelle »  classe  moyenne  dans le pays, car  un système socio-éducatif  délétère  ne  fait  que  structurer  la  faiblesse  structurelle des  classes  moyennes haïtiennes.

 

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La relation de l’école haïtienne avec le système économique est assez ambivalente et contrastée : spéculativement, elle promet l’espoir d’un lendemain   meilleur pour   les élèves et étudiants ; dans la pratique, le désespoir et la pauvreté matérielle sont le lot quotidien d’une bonne partie de la population des diplômés, notamment celle des jeunes.

Une politique de constitution de classes moyennes « fortes » en Haïti pour être durable doit passer par une politique éducative communément orchestrée (sans les caprices d’un chef d’orchestre), inclusive, performante, établissant un lien direct et idoine avec le marché de l’emploi. Tout compte fait, la conjugaison du triptyque   État fort /école / l’économique est nécessaire pour le développement de la « nouvelle » classe moyenne.

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FELAND JEAN | Mail : felandjean89@gmail.com

Sociologue, éducateur

 

[1] – Cecilia Veleda, « Les classes moyennes et le système éducatif en Argentine : perceptions et attentes » in : Education et sociétés 2004/2, no 14, pages 85-100.

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