Par : Feland JEAN
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I- Jalons théoriques
Il y a un lien de manière récurrente entre les classes moyennes et l’éducation suivant une dynamique qui s’alimente réciproquement. En Argentine, depuis la fin du XIX ème siècle le développement de l’enseignement secondaire et supérieur a favorisé l’émergence de celles-ci. En revanche, dans les années 1970 on assistait à une déstructuration et une polarisation des classes moyennes à partir d’une désorganisation de l’école[1].
L’institution scolaire joue un rôle de relais entre les différentes classes sociales. En effet, à part ses fonctions éducatives et de socialisation, elle répartit aussi les individus dans les positions sociales, par conséquent, l’école produit la société. Le système scolaire pourrait être un puissant vecteur de mobilité sociale dans une société donnée, mis à part la reproduction des héritiers à travers les grandes écoles nommément la noblesse d’Etat.
Toutes choses étant égales par ailleurs, l’institution scolaire peut contribuer grandement à la constitution des classes moyennes en transmettant une compétence culturelle aux individus scolarisés et diplômés issus des classes populaires ; la compétence culturelle étant convertible en « capital » à travers un système économique situé dans un espace social structurel et fonctionnel. Qu’en est-il de la relation mutivariée entre capital culturel, marché de l’emploi et classes moyennes en Haïti ?
II- école, marché de l’emploi et classes moyennes en Haïti
La relation di-chotomique entre le système économique et le système scolaire est une faiblesse structurelle dans la constitution des classes moyennes en Haïti : de prime abord, l’école haïtienne dans sa philosophie éducative, sa structure et ses mécanismes de fonctionnement ne peut produire un capital humain compétitif et viable, maquette identificatrice et justificatrice des « classes moyennes », ainsi elles sont viciées à la base. Ensuite, cette situation est couplée par une rupture entre le marché de l’emploi ou financier et l’instruction scolaire qui ne fonctionnent pas de manière congruente et selon les logiques méritocratiques.
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On peut assez être bien dans le système scolaire et être coupé du milieu du travail, c’est-à-dire ne pas être assez bien pour réussir à trouver un emploi par les titres scolaires en Haïti. L’eldorado (l’école) des classes moyennes est en perpétuelle crise ; de même il a fallu que les enfants des classes populaires puissent passer par l’école pour se rendre compte du désenchantement que recèle le système scolaire haïtien face à leurs aspirations socio-économiques.
Par conséquent, l’école haïtienne fonctionne comme un miroir aux alouettes : dans le vif du discours, elle est construite comme une idole théâtrale dans laquelle les acteurs impliqués (élèves, étudiants) devront être les élus du système économique, social et politique en vigueur.
En revanche, dans le laboratoire quotidien, la compétence culturelle qu’elle émet est déficitaire, déconnectée du réel et du marché de l’emploi haïtiens. Cette situation est l’une des causes de la difficile construction d’une « nouvelle » classe moyenne dans le pays, car un système socio-éducatif délétère ne fait que structurer la faiblesse structurelle des classes moyennes haïtiennes.
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La relation de l’école haïtienne avec le système économique est assez ambivalente et contrastée : spéculativement, elle promet l’espoir d’un lendemain meilleur pour les élèves et étudiants ; dans la pratique, le désespoir et la pauvreté matérielle sont le lot quotidien d’une bonne partie de la population des diplômés, notamment celle des jeunes.
Une politique de constitution de classes moyennes « fortes » en Haïti pour être durable doit passer par une politique éducative communément orchestrée (sans les caprices d’un chef d’orchestre), inclusive, performante, établissant un lien direct et idoine avec le marché de l’emploi. Tout compte fait, la conjugaison du triptyque État fort /école / l’économique est nécessaire pour le développement de la « nouvelle » classe moyenne.
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FELAND JEAN | Mail : felandjean89@gmail.com
Sociologue, éducateur
[1] – Cecilia Veleda, « Les classes moyennes et le système éducatif en Argentine : perceptions et attentes » in : Education et sociétés 2004/2, no 14, pages 85-100.