Comment la famille, l’église et l’école nous enseignent le silence ?

“ Majorité silencieuse”, n’avez-vous jamais entendu cette expression si courante à travers nos médias numériques et traditionnels ? Oui, évidemment. En Haïti, nous condamnons souvent beaucoup de nos compatriotes parce qu’ils se taisent face à la descente aux enfers de notre pays. Cependant, nous ne nous rendons pas compte que, tant bien que mal, nous les avons enseignés à faire silence. Un mutisme si complice qu’on aurait pu dire, sans exagération,  que le verbe de la majorité est dissimulé dans les tiroirs de l’oubli. Bref, dans cet article, chemin faisant, nous allons vous montrer comment les trois institutions mère de notre société, à savoir la famille, l’église et l’école ont participé à faire du silence un construit social. Maintenant, les questions à se poser : l’ont-elles fait par ignorance ? Je n’en sais rien. L’ont-elles fait volontairement ? Je n’en sais goutte. Je ne trouve pas que mes données et arguments sont assez forts pour confirmer ou infirmer quoi que ce soit. Toutefois, je peux clamer haut et fort qu’elles y participent jusqu’à être les trois premières responsables.

La pédagogie du silence dans la famille

Je me souviens avoir discuté avec un ami sur la façon dont ses parents le fouettaient lorsqu’il était enfant et ce dernier m’avait avoué : ce que je détestais plus, c’est quand ma maman me demandait de faire silence pendant qu’elle me frappait atrocement. Bon nombre de parents haïtiens agissent de la sorte, ils frappent en demandant à la victime de se taire. Du coup, ils apprennent à leurs enfants à encaisser les coups en silence.  Essayons de comprendre la raison qui les pousse à demander à leurs mômes de faire silence. Crier à plein gosier n’est autre qu’un appel à l’aide qui dit que l’enfant n’en peut plus. Une fois qu’ils empêchent à l’enfant tabassé de crier, aucun voisin ne sera à même de porter secours au petit garçon. Un bambin qui grandit dans une telle situation, comment espérons-nous qu’il se comporte dans la société ? De plus, que dirons-nous de cette fameuse injonction : « Pa pale nan zafè moun, pou yo pa touye w » Mais si je sais que mon voisin a tué sa femme, dois-je me taire et laisse le meurtrier vaquer à ses activités impunément ? Jusqu’où doit aller mon mutisme ?  À mon avis, si les parents doivent enseigner à leurs enfants à faire silence, ils doivent aussi bien les expliciter le pourquoi et aussi les bornes.

La pédagogie du silence dans l’église

Les églises haïtiennes sont la demeure du silence. Parfois, nous avons comme l’impression que les gens sont zombifiés ou même abêtis jusqu’à être esclavagisés. Ils subissent en se taisant. Ils n’aiment pas remettre en question parce que beaucoup de leaders religieux leur ont appris à ne pas parler. Certains responsables religieux ont dit à leurs fidèles que la Parole de Dieu réclame uniquement un Amen. (Qu’il en soit ainsi) Par respect pour Dieu, je ne m’y apposerais pas. Cependant, j’ai une interrogation, vos propos ou la Parole de Dieu falsifiée dans vos intérêts, méritent-ils un Amen également ? Non, non. Vous devez laisser le peuple remettre en question vos actes à l’église. Il y a certaines assemblées dans lesquelles, on n’admet pas que le petit croyant qui remet en question l’enseignement du pasteur. Souvent, on chasse les jeunes intellectuels en disant que ce sont des démons qui leur donnent un esprit d’opposition pour bloquer les services d’études bibliques. Comme c’est pathétique ! En tant qu’enseignant de la Bible, si vous ne pouvez pas tenir une petite discussion avec un croyant qui s’oppose à ce que vous affirmez, donnez votre place humblement à quelqu’un qui en soit digne. D’ailleurs, le Christ lui-même réduisait ses adversaires en silence par de bons arguments. Il est écrit : Les pharisiens, ayant appris qu’il avait réduit au silence les sadducéens, se rassemblèrent, et l’un d’eux, docteur de la loi, lui fit cette question, pour l’éprouver : Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? (Matthieu 22 :34-36). Donc, Jésus-Christ, au lieu de chasser les personnes qui mettaient en question sa parole et ses actes, il les réduisait en silence par des arguments solides. La femme par exemple que vous essayez de réduire en silence dans votre assemblée, c’est la même qui se taira lorsqu’un bourreau la violera. Cessez de prêcher, d’enseigner aux fidèles le mutisme, mais montrez-les comme se défendre par de saines objections ou protestations.

La pédagogie du silence à l’école  

Je vais prendre l’école comme terme générique en incluant l’université aussi. L’enseignement ou l’éducation qu’offre l’école haïtienne n’est pas très différente de celle donnée par la famille ou par l’église. À l’heure où nous écrivons, beaucoup de nos écoles utilisent toujours la pédagogie du bâton. Souvent, l’apprenant haïtien est contraint de se taire face au laxisme de certains de ses pairs par peur de se faire expulser. Rares sont les professeurs, même à l’université, qui admettent la libre discussion. Beaucoup d’entre eux font de la violence psychologique sur leurs étudiants. « Mon professeur de mathématiques, presque tout le monde a peur de lui parce que la remise en question de son enseignement peut coûter cher durant la correction des copies d’examens » martèle-Junior, élève NS3. Dans la majorité de nos écoles, le préfet de discipline détient un bout de bois dans sa main, un ceinturon ou un truc du genre. Ironie, à la vue de celui-ci, les élèves se taisent même si le contexte demande qu’ils parlent.  Comment pouvons-nous demander à quelqu’un qui a passé quatorze ans et plus à se taire par toutes sortes de répressions de s’indigner maintenant ? Indignez-vous ! Sortez de votre silence !  Nous crions dans tous les médias hypocrites comme si nous n’étions pas responsables aussi de ce silence destructeur.

En guise de conclusion, ce texte, dans sa visée, ne voudrait pas péricliter aucune de ces institutions. Toutefois, nous devons comprendre et accepter qu’effectivement, elles nous imposent le silence jusqu’à nous l’enseigner.  Aussi devons-nous savoir que le comportement des citoyens dans une société est la résultante de l’éducation qu’ils ont reçue de leurs pairs.  De surcroit, apprenons à nos enfants comment se comporter, comment remettre en question et surtout comment parler quand il le faut.

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