Ce texte est élaboré, en ce moment de crise morale traversant le pays, pour sensibiliser les décideurs politiques sur l’importance d’une véritable réforme au niveau du curriculum de l’école haïtienne en vue d’arriver à une société produisant des citoyens et des citoyennes qui soient solution au problème de la cité mais non l’inverse. Car, le pays dans toute sa composante, est fatigué des crises récurrentes nous empêchant de connaitre un niveau de modernité et de progrès social en regard des autres pays de la Région.
Face à l’incertitude croissante prévalant dans le pays et aggravée par une crise multidimensionnelle, née de la disparition tragique du Président de la République Jovenel Moise, notre seule planche de salut, c’est de mobiliser davantage de ressources vers un enseignement efficace dans l’optique de l’Objectif de Développement Durable (ODD4) du Congrès de New York des Nations-Unies de 2015. Faut-il bien se souvenir que l’investissement dans ce domaine produit toujours des bénéfices.
Mais des bénéfices non marchands en termes de qualité de vie de la population et de conscience citoyenne. Pour ainsi dire, de l’augmentation de la croissance économique, de la réduction de la pauvreté et de la diminution des tensions sociales sévissant dans le pays voire se protéger contre toute forme de pandémie et promouvoir l’hygiène.
On s’est dit que, si nombre de diplômés travaillent quelle que soit la filière avec un salaire princier tout en respectant la théorie des trois (3) huit, les manifestations ainsi que les casses s’estompent. Et ceux qui ne travaillent pas, reçoivent de l’Etat une allocation de type Welfare des USA ou de bolsa familia du Brésil pour augmenter leur pouvoir d’achat en attendant qu’ils trouvent un emploi. En soutenant un retour à l’Etat providentiel dans l’optique de John Maynard Keynes, nous rejetons d’un revers de main la pensée économique de Milton Friedman de l’école de Chicago Boys qui s’appuie sur le libre-échangisme.
De surcroit, faut-il bien favoriser la microfinance pour des diplômés qui veulent se mettre en collégial aux fins de montage des activités socio-économiques, génératrices d’emploi et de croissance. Mais les pouvoirs publics doivent surseoir sur les dépenses futiles comme l’achat de flotte de véhicules et réduire les montants faramineux de type contrat juteux des consultants travaillant dans le pays.
Tout en rééquilibrant le cadre macro-économique voire assainir les finances publiques pour satisfaire les conditionnalités des institutions de Bretton- Woods comme le FMI et la Banque Mondiale aux fins d’accès aux prêts et dons. En dépit du dysfonctionnement du Parlement devant lequel les accords de prêt doivent passer selon l’article 276.2 de la Constitution de 1987 amendée.
Et avec une bonne dose d’instructions civiques, morales et religieuses ainsi que d’éthique professionnelle, inscrite dans les curricula des cours, les citoyens et les citoyennes vont avoir un bon comportement dans la vie politique, économique et sociale. Par transitivité, on va arriver à la stabilité en dehors de toutes considérations d’ordre coloriste, idéologique et d’intérêts de classe.
Dans la même veine, des politiques publiques peuvent être envisagées en vue d’apporter des réponses à certains problèmes auxquels fait face la population comme l’insuffisance alimentaire, la cherté de l’enseignement de base, le manque de logements sociaux, l’indisponibilité des soins de santé, le chômage des jeunes diplômés et le transport en commun anarchique et sans oublier une allocation aux familles vivant dans des poches de pauvreté par une discrimination inversée. Ce sont des fondamentaux des droits humains prescrits dans la constitution et la charte de l’ONU, comme organe supranational.
Haïti, théâtre d’une conjoncture délétère.
Le pays s’enlise dans un climat de désarroi avec des manifestations intempestives et accentué par la crise de l’essence. C’est la débâcle des décideurs politiques. Tout le monde est perplexe et se demande de quoi, demain sera-t-il fait ? C’est la faiblesse de l’école. Jusqu’à présent, le capital humain dont parlait Becker, prix Nobel de l’économie, que produit « l’école haïtienne » n’a pas pu proposer une alternative au pays aux fins de modernité et de stabilité.
Le chroniqueur haïtien Michel SOUCAR aurait écrit « 30 ans de crise pour un pays normal ». Comme il avait écrit dans le passé un ouvrage titré « 16 ans de lutte pour un pays normal ». Et le philosophe haïtien de tendance Habermasienne, Yves Dorestal soutient que « tout est en crise en Haïti sauf la crise ».
Ainsi se demande-t-on avec Jean Price-Mars du mouvement indigéniste des années 1920 quelle est la vocation de l’Elite en Haïti ? Les gouvernements qui se sont succédé, quels ont été leurs programmes ? Et les Présidents pendant les trois dernières décennies, qu’est- ce qu’ils ont fait pour le pays en termes de paix sociale et de croissance pro-pauvre, une croissance qui aille dans le sens des plus démunis ? Et les Nations-Unies avec le Core Group actuellement et les pays dits amis d’Haïti dans le cadre des accords bi et multilatéraux relatifs au financement ? Mais pour quels bénéfices ? Pour quel accompagnement ?
Je ne peux pas dire comme l’écrivain français de tendance messianique Zola « J’accuse ». Toutefois, il est temps que la nation demande des comptes comme écrit l’historien Alain Turnier et d’ailleurs c’est le titre de son dernier ouvrage. Et a-t-on le droit de s’interroger davantage sur les causes de nos malheurs avec l’économiste Edmond Paul ayant marqué la seconde moitié du 19eme siècle haïtien.
Un diagnostic accablant
Lorsqu’on fait le vetting du système éducatif haïtien, on décèle toutes les pathologies dont souffre ce secteur et pour lesquelles des palliatifs sont proposés sous forme de grands outputs, consignés dans un plan d’éducation, tels que la qualité de l’enseignement de base, l’accroissement de l’accès des enfants à l’école, l’amélioration de l’adéquation formation-emploi et le renforcement des capacités institutionnelles avec un bon système d’information pour la gestion de l’éducation.
Parfois, on a l’impression que l’école forme et déverse des diplômés qui soient sulfureux, égoïstes, acculturés, ambitieux et brasseurs d’affaires. Et l’ex-ministre de l’éducation, Dr Charles Tardieu a été très scandaleux et provocateur lorsqu’il parle de corrompus. Par contre, loin de l’idée de manichéisme, je rencontre des gens sur mon parcours qui puissent être considérés comme des bénéfices pour la société. Que ce soit dans la filière de l’éducation, que ce soit dans la filière de la justice et que ce soit dans le secteur religieux.
Pierre Bourdieu et John Dewey soutiennent que les problèmes politiques, c’est le corollaire de l’école. Il faut bien qu’on le comprenne qu’en Haïti, nous n’avons pas une école haïtienne à proprement parler voire une école républicaine qui porte une pensée. Mais plutôt des écoles pour ainsi dire congréganiste, protestante, laïque dont le point d’orgue, c’est l’extraversion. En référence à une économie extravertie qui produit non pas pour le marché local mais pour le marché extérieur.
Entretemps, se dessine dans le pays un phénomène auquel assistons-nous impuissants celui de « la fuite des cerveaux » où des diplômés, toutes filières confondues, sont en instance de départ pour des cieux qui soient plus cléments. Malheureusement, le pays n’a pas les moyens pour mener une politique de rétention par rapport à l’émigration des sortants du système éducatif. Et comme dit l’autre, ils n’ont pas voyagé à l’esprit de retour mais plutôt ils sont partis.
La presse haïtienne rapporte, avant la crise sanitaire de covid-19 que plus de 85% de nos diplômés vivent à l’étranger particulièrement en Amérique du Nord. C’est un fort cout d’opportunité pour le pays qui a besoin tant de compétences pour son niveau de modernité et de décollage économique. En d’autres termes, au lieu d’avoir des compétences en provenance des pays industrialisés, c’est plutôt ce pays en développement qu’est Haïti, qui exporte des diplômés. Voire pour la reconstruction du pays depuis le séisme dévastateur du mardi 12 janvier 2010 de magnitude 7.3 à l’échelle de Richter et le passage de l’ouragan Matthew du mardi 4 octobre 2016 gradué à l’échelle 4 de Saffyr-Sympson pour des rafales de 230 kms/h.
Une classe moyenne décapitalisée.
La reproduction de l’école creuse un grand fossé entre les gens vivant dans l’abondance et ceux dans la plus deshumanisante misère. Une véritable dualité entrainant un malaise dans la société. Il y a une lutte incessante de classes sociales en Haïti hormis le problème de l’idéologie de couleur dans une conception marxiste de l’histoire.
La pauvreté dans les grandes villes est un terreau fertile pour le pullulement des cours des miracles ou des bidonvilles dont le tableau est déjà peint par Victor Hugo, poète français, dans le courant parnasse de la seconde moitié du 19eme siècle européen.
Entre les deux groupes sociaux existant les classes moyennes qui ruinent avec la dévaluation de la monnaie nationale par rapport à la devise américaine. Aussi les observateurs se demandent-t-ils pourquoi cette hausse en pleine crise où les ports et les aéroports sont semi-paralyses ? A quoi ça sert ?
Est-ce le retour du vieux mercantilisme marqué par la thésaurisation de l’or et le contrôle de la « balance commerciale » ? Cela nous fait penser aussi à la théorie de la main invisible de l’économiste écossais Adam Smith. Aussi se questionne-t-on quelles sont les fonctions de la Banque des banques qu’est la Banque de la République d’Haïti (BRH) ?
Toutefois, maintenant, il y a une nette appréciation de la gourde par rapport au dollar au taux de référence de la BRH de $1 pour 117g. Les économistes sont très sceptiques Comme le professeur Eddy Labossiere de l’INAGHEI, Docteur d’Etat en Sciences Economiques. Ne peut-on pas parler de « miracle negre » pour utiliser une expression d’historien. puisque cela défie toute analyse voire tout modèle.
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Yves ROBLIN
Ex-boursier de l’Etat à l’Unesco de Paris
Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure de P-au-P.
Haut Cadre du MENFP, Haiti
Auteur : « Covid-19 et les outils de planification du système d’éducation en Haïti »